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Critique de Bernardbre


«Aucune société […] ne fut plus grossière que la nôtre, en un sens, plus inquisitoriale». Dans ce nouveau volume d'«écrits intimes» – puisqu'il s'est très vite refusé au roman –, Jean Clair, qui fut conservateur directeur du musée Picasso et commissaire d'expositions aussi marquantes que "Vienne 1880-1938 - L'Apocalypse joyeuse" ou "Mélancolie, génie et folie en Occident", en remet une couche, comme pour prouver qu'au contraire des candides, il n'écrit pas pour se faire aimer. Ici, son entreprise d'anamnèse le fait retourner, plus de six décennies après, dans le bocage mayennais où la débâcle de la Seconde Guerre mondiale l'avait expédié avant l'anniversaire de ses quatre ans. Fils de paysans pauvres, Jean Clair avait déjà écrit «je sortais de rien», formulation lapidaire qui ne le retient pas de penser, avec un lourd sentiment de culpabilité, qu'il a pu trahir les sages de la terre pour les frivoles de l'art. Tiraillé entre ce monde sans tradition écrite et l'érudition, l'historien d'art et académicien français ne tire donc aucune supériorité de s'être «éloigné des paysans taciturnes». Si l'enfance dans cette campagne abandonnée ne fut ni un paradis, ni une pastorale, le jeune Gérard (puisque Jean Clair est un pseudonyme) y conçoit pour toujours un profond attachement aux bêtes, comme à cette «méfiance paysanne» pour laquelle il éprouve plus de respect que de rejet.
Dans cette promenade éclatée qui retrouve parfois la forme du journal («atrabilaire» peut-être, c'est lui qui le dit) s'entrecroisent souvenirs et rêves (au sens premier), idées et sentiments, expériences et voyages, toujours dans la compagnie de l'écriture et de la peinture, assurément ses saluts.
Admirant Avigdor Arikha plutôt que Jeff Koons et autres champions des «tours de force forains», fustigateur du mercantilisme de l'art, de la morale égalitariste, des jargons, des sourires mondialisés de la télévision, de la consommation frénétique des instants, de la bonne bourgeoisie qui possède le monde, des «nouvelles ligues de vertu qui […] ont réduit la France au silence», ou, parmi «les imbéciles d'aujourd'hui», des Gothiques dont il règle le compte en deux pages, Jean Clair est conscient d'être injuste, de se laisser emporter : «La colère, je crois, ne me quittera jamais». Taxé de poujadiste, il répondit, un brin provocateur «Je suis simplement profondément réactionnaire, il y a de quoi, non?» Un «réactionnaire» bouleversé par les conditions faites aux S.D.F. dont il se révèle l'exceptionnel observateur des us et manèges, un «réactionnaire» offrant des pages incomparables de sensibilité et d'intelligence sur le sexe (la «nature») et le corps des femmes, un «réactionnaire» célébrant le "trésor" de la psychanalyse, un «réactionnaire» refusant de céder aux démons du pessimisme… réactionnaire: «loin d'être nostalgique, rêveuse, ou pire encore mélancolique, toute ma vie n'a jamais au contraire été dictée que par le sursaut vers le futur»…

Chronique partiellement parue dans "Encres de Loire" n° 56 page 29, été 2011

Lien : http://www.paysdelaloire.fr/..
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