Citations sur L'hiver de la culture (24)
"Du culte à la culture, de la culture au culturel, du culturel au culte de l'argent, c'est tout naturellement qu'on était tombé, on l'a vu, au niveau des latrines ! Jeff Koons, Damien Hirst, Jean Fabre, Serrano et son Piss Christ, et avec eux, envahissant, ce compagnon accoutumé, son double sans odeur : l'or, la spéculation, les foires de l'art, les entrepôts discrets façon, Schaulager, ou les musées anciens changés en des Show Room clinquants, façon Palais Grassi, les ventes aux enchères, enfin, pour achever le circuit, faramineuses, obscènes...." p 102
Dans le temps où l’Union européenne ratiocinait sur le diamètre des trous des fromages pour sauver la vallée de la Gruyère, la Belgique avait cessé d’exister.
Je ne peux m’empêcher, lorsque j’entends battre tambours, sonner trompettes, vociférer jeunesses et ronfler haut-parleurs, au cours de ces carnavals assourdissants dont Paris est devenu le lieu, « Nuit des musées », «Fête de la musique», «Nuit blanche», «Parade» de ci et «Techno» de ça, de penser que j’assiste au déroulement rituel de funérailles où, célébrées par des corps nus et peinturlurés, on va enterrer joyeusement et sauvagement les restes de ce qui a été notre culture.
C’est au Soleil que l’architecture du cirque antique était consacrée, dont le temple était bâti au milieu de l’enceinte – c’est pourquoi ces amphithéâtres demeuraient ouverts sous le ciel de la divinité. De même le stade, de forme circulaire – dessiné qu’il est sur un cercle ou bien sur une ellipse -, est-il aujourd’hui consacré aux paraboles d’un ballon, petite sphère dont les joueurs s’efforcent d’ordonner la course dans le ciel, parmi les hurlements de dizaines de milliers d’adorateurs. Le sacré s’est refermé sur un jeu cyclique et dérisoire.
Institution spécifiquement française, le ministère de la Culture fut une idée qui ne manquait pas de grandeur. Associée à la création des maisons de la culture, elle faisait naître cependant le sentiment désagréable d’une tutelle de l’État sur les choses de l’esprit, et d’une mainmise sur le sens de l’Histoire.
Du temple à la gloire d’un dieu créateur, ce pauvre succédané qu’en est le musée où l’homme découvre son image, Malraux se fera le sacerdote. C’était demander à la culture ce que le culte seul pouvait donner.
L’expression « ressources humaines » et le jargon qu’elle traîne avec elle, tout comme les abréviations et les acronymes, sortent tout droit du jargon technocratique forgé dans les années trente par le national-socialisme. Et « l’ingénierie sociale » qui coiffe l’ensemble de ces pratiques est de nature semblable, comme son nom l’indique, à « l’ingénierie animale », qui produit des poulets, des cochons et des veaux.
Les musées ne ressemblent plus à rien. La silhouette du nouveau musée d’art contemporain de Metz rappelle à la fois les Bufallo Grill qu’on voit le long des autoroutes, un chapeau chinois et la maison des Schtroumpfs. Dans l’élévation d’un nouveau musée, on retrouvera souvent, in nuce, dans son mélange de modernité fade et d’emprunts hasardeux, le kitsch qu’on verra envahir l’architecture des mégalopoles, de Las Vegas à Dubaï.
L'art moderne s'y emploiera, en instaurant la tyrannie d'un ''novum'' qui ne connaît pas d'origine et qui, en tuant le père, tue le patriarche, celui qui, au sens propre du nom, est ''l'arché'', le pont vers la tradition que le Père incarne. L'artiste, seul est premier, ne supporte pas de géniteur. Né de rien et capable de tout. Caïn triomphe d'Abraham. Le premier des meurtriers est aussi le premier des artistes, en même temps que le premier des hommes.
André Masson, dans un hommage à son ami Malraux, devait écrire, en écho au Faust de Goethe : « Dans un monde déserté par les dieux, il semblerait qu'il n'y ait place que pour l'action, pour l'action, sans motivation d'un but.» C'est exact : en l'absence de Dieu, s'agitent les faux dieux des théosophes, des avant-gardes et du néo-paganisme nazi, et le rêve de régénération qui les accompagne devient vite un cauchemar dont on ne sort plus.