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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une série complète en 19 tomes, qui forme une histoire complète. Il est publié dans le sens japonais de lecture (de droite à gauche), en noir & blanc. Il a été réalisé par le collectif Clamp : Nanase Ōkawa, Mokona, Tsubaki Nekoi, et Satsuki Igarashi. Initialement ces 19 tomes ont fait l'objet d'une prépublication de 2003 à 2011, au Japon.

Kimihiro Watanuki est un lycéen capable de voir les esprits, don dont il souhaiterait bien se débarrasser. Un jour, il passe devant une maison coincée entre 2 immeubles et y pénètre par mégarde. Il est accueilli par Yûka Ichihara, une sorcière, qui lui explique qu'elle tient une boutique où l'on exauce les voeux. Mais en échange, elle reçoit une compensation proportionnelle au voeu. Pour voir son voeu exaucé, Watanuki accepte de travailler comme aide ménager pour Yûko. Rapidement, cette aide s'étend à la cuisine, au ménage, aux courses, etc. Watanuki aide également la sorcière lorsqu'elle exauce le voeu d'un autre client.

Dans ce premier tome, Yûko Ichihara reçoit une première cliente qui lui demande de l'aider à combattre la raideur qui s'installe dans son bras droit. Watanuki peut percevoir un nuage d'une noirceur insondable dont le volume évolue, planer autour du corps de la cliente. La deuxième cliente demande l'aide de Yûko pour l'aider à décrocher de sa dépendance à internet, ses courriels, etc. Watanuki fait également la connaissance de Maru & Moro, les 2 compagnons de Yûko, 2 créatures humanoïdes se comportant comme des enfants.

Dès la prise en main de l'ouvrage, le lecteur peut apprécier le soin apporté à sa finition. le papier de la jaquette est très doux au toucher, très lise et le passage du doigt n'y laisse pas de trace. Les tranches des pages sont colorées d'un violet feutré. Les 4 premières pages sont reproduites en couleurs. Cette qualité se retrouve dans le travail d'édition : les notions culturelles les plus exotiques sont expliquées en bas de page pour que le lecteur en profite pleinement. Cela va d'un rappel sur l'utilisation du nom de famille et du prénom, à la nature du quartier de Ginza à Tokyo.

Dès ces 4 pages en couleurs, le lecteur retrouve ou découvre toute la délicatesse ouvragée des dessins des Clamp, avec des volutes de fumée qui évoquent l'Art Nouveau, dans ce qu'il a de plus nouille, et de plus élégant. Les Clamp ont opté pour des silhouettes allongées, jusqu'à en devenir filiformes. Les pages en acquièrent un parfum de mode, une histoire peuplée de mannequins, mais dont les formes ne sont pas exagérées, sans qu'ils n'en deviennent non plus asexués. Elles apportent un soin tout aussi particulier aux tenues vestimentaires. Dans ce tome, Watanuki est le moins bien loti, car il est sanglé dans un uniforme noir identique d'un bout à l'autre. Par contre, Yûko change régulièrement de toilettes avec une petite touche gitane, ou une tenue très stricte, en fonction des séquences. Maru et Moro conservent les mêmes robes à froufrou tout au long du tome. À ce propos, la traduction de leur patronyme (fournie dans ce tome en page 20) vaut son pesant de cacahuètes et dénote par sa crudité.

Cette délicatesse formelle ne fait pas de ce tome une suite d'illustrations fragiles et délicates. Les Clamp n'hésitent pas à casser l'ambiance quand la scène s'y prête. Tout au long de ces pages, elles dosent avec soin la composition des pages, le niveau d'informations contenues dans chaque case, et le registre narratif visuel. le manga a ceci de particulier que chaque tome comprend au bas mot une centaine de pages. Les auteurs peuvent donc se permettre une narration visuelle décompressée, étalant un simple geste sur plusieurs pages, saupoudrant avec parcimonie les informations sur l'environnement, sans que le lecteur n'éprouve une sensation de superficialité.

Les Clamp utilisent donc cette liberté à leur guise. Elles peuvent inclure un luxe de détails sur la toilette de Yûko allongée sur sa couche, ou bien réaliser une case avec uniquement un gros plan de la tête d'un personnage vue de profil. Elles peuvent aussi bien détailler les rayonnages d'une superette, que laisser l'arrière plan tout blanc, vierge de tout trait. de page en page, le lecteur peut également apprécier l'art consommé avec lequel elles dosent leurs aplats de noir, pour renforcer une case, une chevelure, ou un vêtement.

À la découverte de ce tome, le lecteur pourra avoir besoin d'un temps d'adaptation pour accepter la liberté de ton de la narration. Les Clamp passent de cases très romantiques (mais sans petites étoiles qui brillent quand même), à des visages simplifiés à l'extrême, et figés dans une expression caricaturale.

Cela peut parfois déconcerter de passer d'une page où Watanuki montre les dents dans une grimace de ras-le-bol d'accomplir des basses besognes de nettoyage, à une image superbe où Yûki prend son envol dans des volutes aux arabesques envoutantes, sur fond de tapis aux motifs complexes (page 110).

Assez facétieuses, les Clamp s'autorisent également de jouer avec la nature même du médium. Par exemple, page 66, Yûko fait observer à Watanuki qu'il a une sale tête, susceptible de lui apporter des malheurs. Il apparaît alors au dessus de la tête les kanji correspondant à "sale gueule" et "malheur". Agacé, Watanuki s'empare de ces kanji pour les emporter et les jeter avec les déchets, un très beau moment de rupture de la frontière entre le dessin et les caractères des phylactères. D'une manière tout aussi brutale, elles dessinent Yûko en train de trancher un ordinateur portable en 2 (avec une batte de baseball), sans abîmer la table qui lui sert de support.

Dans ce premier tome, les Clamp introduisent leurs 2 principaux personnages. Kimihiro Watanuki est un jeune homme qui souffre de voir les esprits, au caractère assez docile, puisqu'il se plie assez facilement aux désidératas de Yûko qui n'a de cesse d'élargir son champ de corvées. En ce qui la concerne, elle est présentée comme une sorcière aux pouvoirs très flous, à la durée de vie plusieurs fois centenaire, et au caractère facétieux et malicieux. Elle peut aussi bien se montrer pleine de sagesse, qu'adopter des comportements puérils ou immatures (prendre une bonne cuite, se moquer de Watanuki parce qu'il n'a jamais embrassé de femme, etc.).

Néanmoins, Yûko joue bien le rôle de détentrice du savoir, acquis au fil des décennies. C'est bien elle qui résout les problèmes des 2 clientes (la menteuse et la cyberdépendante). le lecteur découvre les méthodes peu orthodoxes utilisées par Yûko, beaucoup plus basées sur la psychologie que sur la magie. C'est l'occasion de découvrir les aphorismes et maximes dont elle use pour expliciter sa ligne d'action.

Au premier abord, les Clamp semblent piocher dans un stock de phrases toutes faites, relevant plus de généralités et de lieux communs, que d'une sagesse millénaire. Quelques exemples. Page 80 - Les manies, on peut s'en débarrasser que si l'on arrive à en prendre conscience soi-même. Page 104 - Si tu crois que ton avenir est tout tracé, alors c'est le cas. Mais si tu crois que rien n'est écrit, alors c'est vrai aussi. Page 105 - le monde, ça n'existe pas, c'est quelque chose que tu fabriques.

En fonction de sa sensibilité, le lecteur appréciera plus ou moins ces sentences à l'emporte pièce. Néanmoins les dites sentences arrivent au bon moment dans l'intrigue et elles ont un rôle d'ouverture : elles ne se limitent pas à une morale qui vient clore l'histoire, elles apportent un point de vue plus large, en phase avec les émotions éprouvées par les personnages. Même une phrase aussi cryptique et générale que "L'univers pour ceux qui savent est loin d'être unique." engendre un écho à celle sur la réalité que l'individu fabrique, donnant naissance ainsi à un point de vue (l'être humain ne perçoit la réalité qu'à travers ses sens finis, donc de manière partielle et orientée).

Les lecteurs assidus des oeuvres de Clamp auront le plaisir de retrouver des personnages connus (un bref aperçu de 2 Mokona, blanc et noir), ainsi que de voir apparaître en fin de volume le lien avec Tsubasa reservoir chonicle 01 (série en 28 tomes).

Avec ce premier tome, le lecteur s'immerge dans un univers visuel très personnel, à la découverte de 2 personnages, et 2 conflits psychologiques dont Yûko provoque le dénouement. du point de vue de l'histoire, cela peut sembler un peu léger, empreint d'une sensibilité qui se confond parfois avec la sensiblerie. Malgré tout Yûko et Watanuki sont vite attachants et le lecteur a envie de les retrouver. Il espère également découvrir d'autres aspects de la culture japonaise, aussi poétique que l'expression de la noce de la renarde.
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