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Critique de Sachenka


Suite à l'annonce du décès de sa mère, le narrateur (dont le nom demeurera inconnu jusqu'à la fin) retourne dans son village natal. Cela fait tant d'années qu'il l'a quitté et qu'il n'y a pas mis les pieds. Tout a changé, et pas pour le mieux. Chaque pas, chaque rencontre, tout est l'occasion pour lui de le constater. C'est comme si le temps s'y était arrêté, que la modernité et la marche de l'histoire l'avaient oublié, le laissant tomber en déclin, presque en ruine, abandonné. L'arrivée du narrateur dans ce trou perdu, inondé sous la pluie, un spectacle grisâtre qui hante et donne le ton. Cette impression, cette sensation est aussi renforcée par les villageois qui croisent son chemin. Eux aussi, ils ont connu leurs heures de gloire, mais ils ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes. le tenancier de l'Hotel de l'Industrie, autrefois homme riche, subvient difficilement à ses besoin grâce à son établissement que personne ne fréquente. Son épouse est handicapée à ses heures et l'unique pensionnaire est une vieille femme, à moitié folle, qui vit dans le passé. Et que dire du curé alcoolique et désabusé et de l'énigmatique croque-mort veuf ! Bref, une galerie de personnages fascinants malgré leur dégénérescence, uniques, décalés. Ils ne font qu'accentuer le sentiment d'étangeté et de malaise qui poursuit le narrateur (et le lecteur !). Décidément, la désolation est partout. Et ce jeune garçon qu'il voit au loin, à quelques reprises, est-ce un enfant égaré ou le fruits de son imagination ? Difficile à dire… un mystère de plus?

Avec Quelques uns des cent regrets, tout est propice à la nostalgie, les souvenirs (d'abord innocents), les questions auxquelles on préfère ne pas répondre. Philippe Claudel est un de mes auteurs modernes préférés pour plusieurs raisons, et sa plume extraordinaire est l'une des principales. Avec quelques mots, des phrases concises, une description d'un lieu ou d'un personnage, l'évocation d'un souvenir enfouis, un sentiment refoulé ou en suspens, il parvient à me faire visualiser des scènes entières et, surtout, à me faire ressentir toute une palette d'émotions. Avec ce roman, j'ai été intrigué, ému, attristé… même chaviré ! C'est tout un don. Surtout avec cette concision qui est la sienne (un roman si complexe en 154 pages), et son vocabulaire si juste et si beau.

Si au début le narrateur semble indifférent à la mort de sa mère ou, du moins, pas aussi affecté que quiconque le serait, c'est qu'il y a anguille sous roche. Puis, il y a cette brisure. Les souvenirs, qui jusque là se confinaient à des événements brumeux ou innocents ou carrément heureux, en ravivent d'autres beaucoup plus douloureux. Et les secrets se dévoilent petit à petit. Que s'est-il passé entre la mère et le fils ? Leur histoire est déroulée vers la fin et quelle histoire ! Je dois admettre que les vingt dernières pages m'ont beaucoup affecté. En bien, évidemment, mais quelle catharsis ! La visite que le narrateur fait de l'appartement de sa mère… ouf ! Claudel a réussi à me faire voir, comprendre la vie de cette pauvre femme, à ressentir les émotions qu'elle a vécues. (Telle est la force de persuasion de sa plume !) Accusée par son fils de l'avoir privé de son père, insultée et blessée, elle a passé le reste de sa vie seule et dans le dénument. Ça m'a beaucoup affecté, surtout quand on croit en avoir deviné la raison, je dois admettre que j'avais l'oeil larmoyant pendant cette partie de ma lecture, ce qui n'était pas arrivé depuis très, très longtemps. Et la situation du narrateur n'est guère mieux. Comment vivre avec soi-même (le deuil, les remords) après tout cela ? Heureusement, les dernières pages nous laissent sur une note un peu plus positives. Au final, Quelques uns des cent regrets est une lecture qui ne devrait laisser personne indifférent.
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