[…] Vous ne savez pas, vous ne pouvez pas savoir, mais en Angleterre, une personne su onze est un miséreux. A Stockton, près de dix mille personnes ont gagné moins de deux shillings par semaine, l’année dernière. A Leeds, trente mille, moins d’un shilling. Presque toute le population meurt de faim, et nous somme le pays le plus riche de la terre.
La justice britannique, bien que rapide et dure, ne paraissait pas cruelle aux Chinois. La torture publique, le fouet à mort, les poucettes et les mutilations, l’arrachage d’un œil ou des deux, les pieds ou les mains coupées, la marque au fer rouge, le garrot, la langue arrachée, milles supplices raffinés, tout cela était pour les Chinois un châtiment normal. Les chinois n’avaient pas de tribunaux, pas de jury. Comme Hong Kong échappait à la justice chinoise, tous les criminels du continent qui pouvaient s’échapper affluaient à Tai Ping Shan, hors d’atteinte, et se moquaient des faiblesses des lois barbares.
Et tandis que la civilisation prenait l’île d’assaut, les ordures s’amoncelaient.
May-May venait d’apparaître sur le seuil, un sourire radieux aux lèvres, et tournait pour se faire admirer. Sa robe à l’européenne était bariolée de couleurs violentes, surchargées de broderies clinquantes, la jupe démesurée et boursoufflée. Ses cheveux dansaient sur ses épaules, en anglaises frisotées et elle coiffée d’un chapeau à plumes. Elle était hideuse. Un vrai cauchemar.
La Russie est illimitée, rétorqua Sergueyev. Mais symboliquement seulement. En réalité, la Russie elle-même a ses limites. L’Arctique et l’Himalaya, la Baltique et le Pacifique.
Thé. La vie devait être abominable, avant le thé. Absolument. Peux pas imaginer comment les gens vivaient sans thé. Dommage qu’il ne pousse pas en Angleterre. Ça nous épargnerait bien des soucis.
Je suis convaincu que cette terre ne connaîtra jamais la paix tant que toutes les nations n’auront pas adopté le système parlementaire anglais, tant que tous n’auront pas le droit de vote, tant qu’un homme seul sera le maître de la destinée d’une nation, que se soit de droit divin ou par les votes stupides d’un électorat stupide.
[à propos de Paris et des Français] N’est-il pas navrant que cette radieuse, et glorieuse cité, se donne toujours les plus étranges dirigeants ? murmura Sergueyev. Un peuple magnifique. Et cependant, ses gouvernants sont toujours enflés de vanités et apparemment résolus à mettre le monde sens dessus dessous.
La Russie est en quarantaine, mais ça n’a pas d’importance. Sa politique historique a toujours été de conquérir par la ruse, de soudoyer les dirigeants d’un pays et les chefs de l’opposition s’il y en a. De s’étendre par « sphères d’influence » et non par la guerre. Comme il n’y a pas de menace à l’ouest, je pense qu’elle tournera ses regards vers l’est. Car elle aussi, elle croit qu’elle occupe sur la terre une situation de droit divin, qu’elle aussi – comme la France et la Prusse – a la mission divine de gouverner le monde.
Sans une épouse bien née, la vie mondaine est impossible. La diplomatie se fait dans les salons privés, dans le luxe.
La guerre n’est après tout que la bras séculier de la diplomatie. Quand tout le reste a échoué.