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Critique de Arakasi


Que sait-on vraiment des Borgia ? Une fois écarté le voile sombre que la légende noire a tissé autour d’eux, une fois démystifiés et dépoussiérés ces grands monstres sacrés de la Renaissance italienne, que connait-on du pape Alexandre IV, de Lucrèce Borgia et du fougueux César ? Pas grand-chose à vrai dire : quelques noms, quelques actions d’éclat et beaucoup de calomnies. Le volumineux ouvrage d’Ivan Cloulas, « Les Borgia », n’est donc pas un luxe inutile pour qui voudrait approfondir un peu l’histoire sulfureuse d’une des plus brillantes et des plus redoutées familles du Vatican. Encore faut-il trouver le temps de s’y plonger, car ce n’est pas un petit morceau que « Les Borgia » de Cloulas, oh non ! Complexe, fourmillant de noms, de dates et d’événements, écrit dans un style assez abrupte, il fait partie de ces livres qui demandent à leurs lecteurs beaucoup d’attention et d’investissement et encore – si vous êtes une tête de linotte comme moi – n’en retiendrez-vous qu’une partie.

Malgré sa relative sécheresse et une approche qui aurait mérité d’être un peu plus analytique, « Les Borgia » reste un ouvrage très recommandable. Il a le mérite de sortir de l’ombre trois figures fascinantes, parmi les plus admirables de leur temps. Le premier et non le moindre est Rodrigue Borgia, le futur pape Alexandre IV, ecclésiastique aux mœurs discutables (mais, honnêtement, ceux de ses contemporains ne sont guère plus brillants…) mais au génie politique et diplomatique indéniable. Le plus grand vice que l’on puisse reprocher à ce rusé homme d’état est d’avoir, non pas assassiné à tour de bras ses ennemis comme le lui reproche la légende noire, mais toujours privilégié le pouvoir temporel au pouvoir spirituel et, surtout, d’avoir fait passer le bien-être et l’avenir de ses enfants avant ses devoirs de pape.

Celui qui a le plus profité de ces largesses est assurément le fameux César Borgia – mon petit préféré ! Véritable « magnificent bastard » shakespearien, le Prince n’a pas volé la place d’honneur qu’il conserve dans l’imaginaire de la Renaissance : tour à tour politicien, ecclésiastique, diplomate, chef de guerre, mécène généreux, excellent administrateur, il fascine par sa personnalité complexe et volontaire. Dommage que Cloulas néglige un peu l’approche psychologique de ses personnages : j’aurais apprécié une analyse plus en profondeur de ce caractère subtil, mélange de rouerie et d’audace, de férocité et de charme, dont les contrastes restent un mystère aux yeux du lecteur contemporain. A côté de ces deux figures charismatiques, la frêle Lucrèce fait pâle figure mais attire davantage la sympathie. Loin du personnage de l’empoisonneuse impitoyable dressé par Victor Hugo, on découvre l’image d’une femme sensible, intelligente, brillante même, mais davantage jouet que joueuse entre les mains d’un père et d’un frère, certes aimants, mais surtout dévorés par l’ambition.

« Les Borgia » de Cloulas a également le mérite de tordre le cou à quelques mythes trop souvent propagés au sein du grand public. D’abord celui du Poison des Borgia si redouté par leur contemporains et source de tant de rumeurs délirantes. Soyons clair, au XVe siècle, le poison est une arme très douteuse qui n’agit efficacement qu’une fois sur six. Vous voulez trucider votre prochain ? Privilégiez un bon coup de couteau ou une corde bien solide ; César Borgia, lui, ne s’en est pas privé ! Autre sordide calomnie ayant la vie dure et dont la présence ne cesse de m’agacer dans la séries télévisées récentes : les rumeurs – totalement injustifiées – d’inceste entre Rodrigue Borgia et sa fille, César et sa sœur, voire – soyons fous ! – tous les trois ensemble. Franchement, avec les meurtres (plus ou moins prouvés) d’un frère et d’un beau-frère sur les bras, vous pensez vraiment que César a besoin de cela pour alourdir son curriculum vitae ?

En conclusion, un ouvrage difficile d’accès mais intéressant et très complet. Malgré ce que j’ai dit plus haut, je ne crache pas non plus sur les récentes séries américaines, très fantaisistes mais qui ont le mérite de donner aux Borgia l’épaisseur humaine que le livre de Cloulas échoue un peu à transmettre.
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