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Critique de eckmuhl


« Et pourquoi ne cesse-t-il de se poser des questions, au lieu de simplement vivre, comme tout le monde ? »

Une enfance de Jésus est le livre des questions sans réponses. Coetzee, Prix Nobel de littérature 2003, offre ici un conte à la limite de la parabole philosophique.

David et Simon, voilà les noms qu'ils ont reçus en arrivant ici. Ils ne les ont pas choisi, tout comme le rôle qui leur a été confié. L'ici ? Une île hispanophone mystérieuse, où la bienveillance est reine et où la passion semble proscrite. le dieu local ? Une bureaucratie tout aussi inébranlable qu'inatteignable. David et Simon ont débarqué après un voyage en bateau, fuyant un passé dont nous ne saurons rien. Lors de cette traversée salvatrice, l'enfant a perdu la lettre contenant le nom sa mère et Simon a fait la promesse de les aider à se retrouver.

« ‒ Une conviction, une intuition, une illusion – quelle est la différence quand on peut mettre cela en question ? T'est-il jamais venu à l'esprit que si nous suivions toutes nos intuitions, le monde tomberait dans le chaos ? »

Alors que ce peuple, lavé de tout souvenirs semble admirablement adapté à cette vie grisâtre, les deux héros souffrent de leur mémoire. Face à l'impossibilité de faire taire ces éclairs de lucidité, ils tentent tant bien que mal de faire accepter leurs idéaux. Par ces petites révoltes de l'esprit, ils nous invitent à des réflexions sur l'éducation, la filiation, la rentabilité, la place de la technique ou encore l'infini. Lorsque les habitants de l'île s'interrogent bassement sur le degré de « chaisité » d'une chaise, Simon, lui, explore les possibles et multiplie par conséquent les ennuis.

Vient alors l'épisode de la rencontre avec la « mère » de l'enfant ; une femme, choisie en un regard par un Simon un peu trop sûr de lui. Dès leur rencontre, le rythme de cette fable énigmatique s'accélère et le trio se détache peu à peu du de ce monde imaginaire qu'ils ne parviennent à accepter, chacun perdu dans ses propres illusions.

« Il ne lit pas les livres comme les autres et refuse d'accepter que 2 et 2 égalent 4 « Il ne suit pas les étapes que nous faisons, quand nous comptons. C'est comme si les nombres étaient des îles flottantes sur une mer de néant, vaste et noire, et comme si, chaque fois, on lui demandait de fermer les yeux et de se lancer dans le vide. »

L'issue est fatale, donc un peu prévisible, mais ses interprétations restent multiples. C'est au lecteur de décider ce qu'il veut croire, et c'est pourquoi on peut y voir, en un sens, une métaphore de la foi. Une filiation tombée du ciel, un père adoptif aimant et un enfant spécial qui provoque des passions là où elles ne devaient plus exister. Une enfance de Jésus ? Peut-être, peut-être pas.

Sous l'ombre de Cervantès, et dans le sillage d'un nouveau Beckett, Coetzee signe ici une fable hautement énigmatique, où les sens prédominent en conséquence du flou artistique que constitue l'univers conté. Les grandes thématiques de la condition humaine sont finalement soumises à réflexion sans jamais être véritablement citées, grâce à un outil symbolique particulièrement bien manié. Bref, un conte suffisamment efficace pour titiller nos convictions.

« Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». Alvaro fronce les sourcils. « Ce n'est pas un monde possible ; dit il. C'est le seul monde. Que cela en fasse le meilleur, ce n'est si à toi ni à moi d'en décider. »
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