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Critique de vincentf


Qu'écrire en quelques lignes à propos d'un tel chef-d'oeuvre ? Dire que le style de Cohen, charnel, puissant, iconoclaste, biblique, dérisoire, épique, tragique, absurde, foisonnant, luxuriant, inscrit Belle du Seigneur au sommet de l'expérience littéraire et bien plus que cela, de l'expérience humaine. Il y a dans cet amas de papier plus d'humanité que dans les corps qui se meuvent sans cesse devant nos yeux. Belle du Seigneur, roman d'amour, roman de la solitude, roman du social, roman juif, roman comique, roman tragique, tout y est. Les personnages sont d'une richesse infinie, Solal, le matérialiste, l'amoureux forcené, le lucide, le juif errant, le jaloux, le fou, le sous-bouffon déchu, le solitaire, le Don Juan tragique, le tendre, le violent, Ariane, la pudique, l'effrontée, la soumise, l'amoureuse absolue, la religieuse, le corps jubilant puis maudit, la naïve, Adrien Deume, idiot attendrissant, son père zozotant et sa mère grotesque, les Valeureux, ridicules, sérieux, à mourir de rire, Mariette, délicieusement populaire. Mais les personnages ne sont rien. Tout est langage, fête et tragédie du langage, discours intérieurs interminables et géniaux, non-dits qui laissent le couple infernal glisser toujours plus bas, jusqu'à la mort, présente tout au long d'un roman qui mêle avec une force incroyable l'amour et la mort, le corps et l'esprit, tension constante de la passion amoureuse, tentative illusoire et nécessaire d'élever le corps au niveau de l'esprit, même si l'on sait, même si Solal, le lucide, sait que l'esprit n'existe pas, qu'il n'y a que le corps, malgré Dieu, fantôme aimé. Belle du Seigneur est une Bible, un monument vivant, une fresque éveillée, colorée, sans cesse mouvante, entraînant l'esprit du lecteur au plus profond de lui-même, au coeur de ses entrailles, de ses passions exaspérées retenues, du grotesque humain et de son sublime, parce que le sublime, c'est le grotesque, que les discours les plus extravagants, celui de Solal le premier soir au Ritz, ceux de Mangeclous, le monologue intérieur de Solal qui regarde sa bien-aimée coudre, les soliloques d'Ariane dans son bain, bien d'autres encore, farces profondes, humour qui frappe au coeur des douleurs les plus intimes, sont les plus beaux, les plus émouvants, ceux qui nous disent la vérité. Belle du Seigneur est aussi le roman de l'attente, Solal attendu par le petit Deume qui se prostitue pour l'illusion de la réussite, les amants qui s'attendent, se retrouvent, se perdent, puis s'enferment dans leur amour comme les juifs s'enfermaient dans les caves, se détruisent mutuellement, pour faire durer une passion impossible et nécessaire, et attendent ce qu'ils ont toujours attendu, la mort, le mythe de l'union éternelle, Roméo et Juliette. L'attente n'aboutit à rien. Tout n'est que théâtre, marionnettes de chair collées l'une à l'autre, puis os jetés aux chiens. Belle du Seigneur fait aimer la vie et haïr la mort. Tout est vanité, discours vides de sens, babouinerie, mais la babouinerie est ce qui fait de l'homme l'animal le plus beau et le plus faible, le plus pitoyable, celui que l'on ne peut qu'aimer avec passion, jusqu'aux extrémités de son être, jusque dans ce qu'il a de plus détestable. Cet amour fou et irrépressible de l'homme, cette passion sans borne d'Ariane et de Solal l'un pour l'autre, est ce qui sauve l'humanité en même temps qu'il est ce qui la détruit. Lire Belle du Seigneur, c'est se sentir plus que jamais humain.
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