J'ai expliqué à Elise qu'elle était malheureusement obligée de se plier à l'autorité du professeur, et qu'elle devait donc apprendre cette satanée définition. Toute sa vie, elle rencontrerait des cons et, malheureusement pour elle, ils occuperaient pour la plupart des postes hiérarchiques.
Le phénomène était inexplicable sur le papier mais empiriquement vérifié.
Mon doigt était pointé sur la note en rouge du proviseur. Il enchaîna :
- Et donc, plus personne ne peut dire " Allahou Akbar" sans se prendre une punition ou aller en prison.
.....
Et bien, tu n'as qu'à dire au proviseur que je priais, comme ça je serai excusé !
...
Non, vous me faites chier avec vos règles à la con ! Si ça continue, je vais me jeter par la fenêtre !
- Ben fais attention, ça fait mal !
Trente ans plus tard, l'école n'a pas changé. Elle juge toujours nos enfants sur leur capacité à accepter tête baissée son système hiérarchique. Elle continue de célébrer ceux qui acceptent ses règles et d'éconduire au fond de la classe ceux qui ne parviennent pas à s'y plier. Elle persiste dans l'idée que toute promotion sociale doit automatiquement passer par elle. Et disqualifie ce faisant toute autre forme d'univers formatif : le groupe, la famille, les loisirs, la culture. Il n'y a que ses notes qui comptent. et elles sont fondées sur l'obéissance à des règles primitives : gavage, régurgitation. Pour ce faire, elle prend nos enfants en otage à temps plein dès qu'ils ont trois ans, pour qu'ils ne puissent jamais se douter de la possibilité d'une vie au-dehors.
Paul est notre fils aîné. Il nous déteste par amnésie. Il croit que nous sommes apparus dans sa vie il y a quelques mois pour lui dire de ranger sa chambre et travailler à l’école. Avant il n’y a rien eu. Nous n’avons pas pleuré de joie à sa naissance. Nous n’avons pas cherché son prénom avec excitation. Nous n’avons pas fêté son premier anniversaire et tous ceux qui ont suivi. Nous ne lui avons pas montré la mer. Nous ne lui avons pas appris à faire du vélo. Nous ne lui avons pas torché le derrière. Nous n’avons pas tendu nos mains vers lui quand il a fait ses premiers pas. Nous n’avons pas versé de larmes en l’emmenant pour la première fois à l’école. Nous n’avons pas passé nos samedis à le regarder jouer au football. Nous ne l’avons pas serré dans nos bras. Nous ne l’avons pas porté quand ses petites jambes lui faisaient mal. Nous n’avons pas fait de notre mieux. Non, nous ne sommes pas arrivés le jour de son quinzième anniversaire pour lui dire de ramasser ses mouchoirs et de mettre ses slips dans le bac à linge sale.
Les enfants sous Rilatine, les ados sous cannabis, les parents sous antidépresseurs. Tout va bien !
Avoir un adolescent, c'est accepter de savoir perdre son temps. Et avoir de fréquentes envies de meurtre sans jamais passer à l'acte.
Ils n'ont pas besoin de t'avoir en permanence sur le dos, a-t-elle dit en me faisant signe de lui donner la serviette. Tu sais comment on élève les enfants? Les élever...Tu as compris le sens de ce mot ? Eh bien, on met beaucoup d'amour et un peu d'eau ! Voilà comment on fait ! Les élever, ce n'est pas tous les jours leur rappeler combien ils sont chiants, combien ils sont ingrats, combien ils sont paresseux, combien ils sont mauvais élèves. Tu veux leur rendre service? lâche-leur les baskets ! parce que, tu veux que je te dise ?
Elle a hésité un instant. Je lui ai fait oui de la tête.
- tu es inapte à être père !
(p 148)
On ne connaît jamais vraiment la personne avec laquelle on partage sa vie. Et c'est tant mieux !
Avoir un adolescent, c'est accepter de savoir perdre son temps. Et avoir de fréquentes envies de meurtre sans jamais passer à l'acte.
J'ai toujours aimé la capacité des Belges à réagir à l'adversité. Nous le faisons avec une sorte de fatalité comique, qui semble dire que rien, jamais, ne nous mettra véritablement à terre.