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Critique de Kirzy


Kirzy
23 novembre 2022
°°° Rentrée littéraire 2022 # 48 °°°

« En ce temps-là on était des loups et les loups étaient des hommes, ça ne faisait pas de différence on était le monde. C'est pour ça que je vis  : toucher du doigt, du bord du coeur le territoire sauvage qui survit en moi et quand les loups hurlent dans la montagne, je sais que je ne suis pas seul. »

Le narrateur, Liam, homme des bois et trappeur, a décidé de vivre à l'écart du monde humain. D'un retour de chasse, il découvre sa compagne tuée par un ours. Leur fils de cinq ans, Aru, a survécu. Liam ne sait pas quoi faire de cet enfant qu'il ne comprend pas et qu'il considère comme un poids pour vivre selon ses souhaits autarciques et misanthropes, un enfant qui lui rappelle sans cesse la mort de celle qu'il adorait. Va-t-il le garder auprès de lui, s'y attacher et l'inscrire dans sa vie, l'abandonner ou même pire ? C'est l'enjeu de leur chevauchée dans des grands espaces de forêts et lacs qu'on imagine être dans les Appalaches ou le grand Nord canadien.

«  En vrai c'est la lueur éperdue dans ses yeux bleus qui me rend dingue, cette lueur qui me cherche simplement pour s'accrocher à moi, pour que j'ouvre une brèche une possibilité la largeur des mes bras et cette quête-là, cette prière muette je n'y arrive pas il peut toujours rêver. La seule chose qu'il demande le gosse c'est un peu de tendresse un truc comme ça. Il ne le dit pas c'est invisible sauf que c'est tellement là que l'air en frissonne, et je sens les vibrations vers moi que je repousse d'un geste de la main et je voudrais lui dire que ce n'est pas la peine, la tendresse je n'en ai pas du tout ou pas pour lui, on n'est plus que deux et ce n'est pas pour ça que je vais me rabattre sur lui. »

Pour porter le cheminement de Liam, Sandrine Collette a choisi un long monologue à la langue primitive et viscérale. Les phrases sont rugueuses, très peu ponctuées. On se fond totalement dans l'intériorité de Liam. On découvre ces pensées dans un flux désordonné qu'il s'emballe, rumine. Liam dit ce qu'il pense, ce qu'il fait. On l'entend littéralement parler tant l'oralité de sa langue est parfaitement retranscrite. L'écriture épurée de l'autrice surligne la force émotionnelle qui se dégage du récit, ce qui rend la lecture intense. Liam est animé par des pulsions destructrices qu'il livre sans filtre au lecteur ( souvent déstabilisé par la violence des propos ) dans une urgence prégnante.

Derrière son décor de roman américain où la nature rude semble indifférente aux combats des hommes pour survivre, plus le récit avance plus il se rapproche de la structure archétypale du conte : des épreuves pour les héros, ici le père et son fils, une forêt, un ogre. Un conte très sombre qui résonne de thématiques contemporaines en questionnant sur la paternité, sur l'instinct paternel.

Liam, c'est l'antipode du père de la Route ( chef d'oeuvre de Cormac McCarthy ). Lui a eu une enfance terrible, on ne lui a pas appris la tendresse. La tension est permanente avec son enfant qui le suit terrifié, tout peut basculer d'un moment à l'autre. Comme toujours chez Sandrine Collette, la famille est le premier lieu de la relation à l'autre, qu'il s'agisse d'amour ou de domination. Rester humain est un combat contre la bête tapie en soi.

Une nouvelle fois, je suis totalement séduite par le travail formel de Sandrine Collette tout autant que par sa capacité à décrire la fragilité de l'être humain avec une âpreté incisive capable de faire surgir de la poésie et de l'émotion. Ce roman initiatique se lit avec les tripes et le coeur. Décidément un de mes auteurs français préférés, cela se confirme.
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