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sur 2438 notes
°°° Rentrée littéraire 2022 # 48 °°°

« En ce temps-là on était des loups et les loups étaient des hommes, ça ne faisait pas de différence on était le monde. C'est pour ça que je vis  : toucher du doigt, du bord du coeur le territoire sauvage qui survit en moi et quand les loups hurlent dans la montagne, je sais que je ne suis pas seul. »

Le narrateur, Liam, homme des bois et trappeur, a décidé de vivre à l'écart du monde humain. D'un retour de chasse, il découvre sa compagne tuée par un ours. Leur fils de cinq ans, Aru, a survécu. Liam ne sait pas quoi faire de cet enfant qu'il ne comprend pas et qu'il considère comme un poids pour vivre selon ses souhaits autarciques et misanthropes, un enfant qui lui rappelle sans cesse la mort de celle qu'il adorait. Va-t-il le garder auprès de lui, s'y attacher et l'inscrire dans sa vie, l'abandonner ou même pire ? C'est l'enjeu de leur chevauchée dans des grands espaces de forêts et lacs qu'on imagine être dans les Appalaches ou le grand Nord canadien.

«  En vrai c'est la lueur éperdue dans ses yeux bleus qui me rend dingue, cette lueur qui me cherche simplement pour s'accrocher à moi, pour que j'ouvre une brèche une possibilité la largeur des mes bras et cette quête-là, cette prière muette je n'y arrive pas il peut toujours rêver. La seule chose qu'il demande le gosse c'est un peu de tendresse un truc comme ça. Il ne le dit pas c'est invisible sauf que c'est tellement là que l'air en frissonne, et je sens les vibrations vers moi que je repousse d'un geste de la main et je voudrais lui dire que ce n'est pas la peine, la tendresse je n'en ai pas du tout ou pas pour lui, on n'est plus que deux et ce n'est pas pour ça que je vais me rabattre sur lui. »

Pour porter le cheminement de Liam, Sandrine Collette a choisi un long monologue à la langue primitive et viscérale. Les phrases sont rugueuses, très peu ponctuées. On se fond totalement dans l'intériorité de Liam. On découvre ces pensées dans un flux désordonné qu'il s'emballe, rumine. Liam dit ce qu'il pense, ce qu'il fait. On l'entend littéralement parler tant l'oralité de sa langue est parfaitement retranscrite. L'écriture épurée de l'autrice surligne la force émotionnelle qui se dégage du récit, ce qui rend la lecture intense. Liam est animé par des pulsions destructrices qu'il livre sans filtre au lecteur ( souvent déstabilisé par la violence des propos ) dans une urgence prégnante.

Derrière son décor de roman américain où la nature rude semble indifférente aux combats des hommes pour survivre, plus le récit avance plus il se rapproche de la structure archétypale du conte : des épreuves pour les héros, ici le père et son fils, une forêt, un ogre. Un conte très sombre qui résonne de thématiques contemporaines en questionnant sur la paternité, sur l'instinct paternel.

Liam, c'est l'antipode du père de la Route ( chef d'oeuvre de Cormac McCarthy ). Lui a eu une enfance terrible, on ne lui a pas appris la tendresse. La tension est permanente avec son enfant qui le suit terrifié, tout peut basculer d'un moment à l'autre. Comme toujours chez Sandrine Collette, la famille est le premier lieu de la relation à l'autre, qu'il s'agisse d'amour ou de domination. Rester humain est un combat contre la bête tapie en soi.

Une nouvelle fois, je suis totalement séduite par le travail formel de Sandrine Collette tout autant que par sa capacité à décrire la fragilité de l'être humain avec une âpreté incisive capable de faire surgir de la poésie et de l'émotion. Ce roman initiatique se lit avec les tripes et le coeur. Décidément un de mes auteurs français préférés, cela se confirme.
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Vivant dans la montagne, à l'écart du monde, Liam poursuit un loup qui a eu l'audace de venir rôder autour de ses enclos. En rentrant de cette chasse, il s'attend à voir émerger son fils de cinq ans, courant les bras écartés et les yeux pétillants vers lui. A la place, il retrouve sa femme inerte, à même le sol, couverte de sang et de griffures d'ours. Où est son fils ?

« On était des loups » emmène le lecture en pleine nature, sur une montagne aussi belle qu'impitoyable, en compagnie d'un homme qui a choisi de vivre en marge de la société. Même là, il évite de passer trop de temps auprès de sa femme et connaît à peine ce fils qu'il n'a pas vraiment vu grandir, trop occupé à vivre comme une bête au milieu de ses montagnes.

« On était des loups » invite à partager les pensées de ce chasseur qui se retrouve seul avec un gamin dont il ne s'est jamais occupé. Dans sa tête, c'est le chaos total, d'abord des questions logiques… Comment lui expliquer pour sa mère ? Comment élever un gamin seul dans un environnement aussi hostile ? Qui s'occupera du petit quand il ira chasser ?… puis des pensées plus horribles… Faut-il l'abandonner ? le tuer ?

« On était des loups » est l'histoire dans un homme qui n'a pas les qualités requises pour être père, ni l'envie de l'être. Un roman sur le deuil et sur la paternité qui invite à suivre les pas d'un homme sur le chemin montagneux qui le conduira vers son humanité.

À chaque roman de Sandrine ColletteEt toujours les forêts », « Les larmes noires sur la terre »), il me faut toujours un peu de temps pour m'habituer à son style, mais après quelques pages…BAM…me voilà entouré d'une tension palpable, capturé par le flux des pensées de cet homme certes taiseux, mais dont elle déroule les sentiments à la première personne grâce à de longues phrases quasi dénuées de ponctuation. le lecteur se retrouve ainsi en apnée, dans la tête de ce personnage dévoré par le chagrin et horrifié par la tâche inhumaine qui l'attend : devenir père !

Mon deuxième coup de coeur de la rentrée littéraire après « Arpenter la nuit » de Leila Mottley.
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Chante avec les loups ❤️
« … et je sens sa main dans la mienne soudain une toute petite main chaude et je sais que c'est ce que j'ai de plus précieux au monde ».
Quelle est forte Sandrine Colette. Quelle émotion en refermant ce livre ! Cette relation entre un père aimant mais rustre qui n'a pas les codes de la paternité et son petit garçon de cinq ans noue la gorge. L'authenticité des personnages est tellement touchante.
Liam vit dans la montagne retiré du monde avec sa femme Ava et son fils Aru. Traquer, chasser, dépecer, tanner, forger, dormir à la belle étoile dans une liberté absolue c'est son quotidien, une vie à l'état sauvage qui n'est pas faite pour un môme, c'est pourquoi ce gosse, il n'en voulait pas. Ce trappeur vit auprès des animaux en pleine nature « pour toucher du doigt, du bord du coeur, le territoire sauvage qui survit en moi… ». Un soir à son retour il retrouve sa femme morte. Vide immense, désarroi. La colère le submerge. Il se retrouve seul avec son fils et sait qu'il n'a pas les qualités requises pour être père. On suit ses errances et celles de son petit au coeur de la nature sauvage et inhospitalière où le peu d'hommes que l'on croise sont plus dangereux que les loups.
Lentement on assiste à la naissance d'un père, on voit la part d'humanité de Liam prendre le dessus sur sa part d'animalité. Ce livre interroge sur la place de l'homme dans la nature et au sein de la famille, c'est un magnifique roman sur la survie, la liberté et les grands espaces où vastes forets et grands lacs défilent en fond d'histoire. C'est surtout un roman sur le refus de la paternité, l'instinct paternel. On suit le cheminement intérieur de Liam vis à vis de ce fils qu'il aimait jusqu'à présent « de loin ».
Il est écrit avec les tripes.
La tendresse ici ne s'exprime pas, ne se montre pas ou maladroitement mais l'attachement est fort. Leur entente tacite, leurs regards complices, les mots et pensées abruptes de ce père conscient de ne pas savoir y faire bouleversent.
Les événements lui donneront raison c'est pas un endroit pour un môme. Dans leur solitude réciproque père et fils vont pourtant s'apprivoiser, s'entraider et peut-être trouver enfin leur juste place…
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Tailler dans la pierre un coeur de père…

Que j'aime les auteurs dont les écrits retranscrivent sans filtre les pensées, les émotions les plus personnelles et intimes, comme si nous étions, nous lecteurs, branchés directement sur le cerveau et l'âme du protagoniste nous prenant plus directement aux tripes et au coeur. le maître en la matière, à mes yeux, est le grand Antonio Lobo Antunes dont une phrase, sans aucune ponctuation, peut faire tout un chapitre à elle seule. Lire à voix haute permet alors de trouver le fil sur lequel tirer pour faire de ces méandres complexes, mélopée sauvage et brouillonne, un récit plus clair, hypnotisant et percutant. C'est tout simplement captivant et permet de voir que nous pensons sans arrêt, sans point ni virgule, passant très souvent du coq à l'âne. C'est tout simplement touchant car nous n'avons pas l'image que veut renvoyer le personnage en communiquant avec d'autres personnes, nous avons sa mise à nu, brute et sans masque.
Sans aller jusqu'à cette extrémité, Sandrine Collette nous livre avec « On était des loups » le poignant monologue d'un homme taiseux et taciturne, Liam. Et nous trouvons ainsi un écrit structuré à l'aune des pensées les plus viscérales qui surgissent, des émotions qui affleurent, même les plus inavouables, une langue rugueuse, intime, primitive, aux mots entrechoqués, aux mots parfois crus, aux mots toujours sincères. Aux mots poétiques aussi.

« Pour l'instant le bleu de ses yeux ressemble à une tâche de myrtille sauvage, celles qui couvrent les sous-bois au début de l'été et que je rapport à Ava pour qu'elle les mette en bocaux ».


Ce soir-là, quand Liam rentre des forêts montagneuses où il est parti chasser et traquer un loup qui rôde autour de la maison, il devine aussitôt qu'il s'est passé quelque chose. Son petit garçon de cinq ans, Aru, ne l'attend pas devant la maison comme d'habitude. D'habitude, le petit l'attend et dévale la pente pour se jeter dans ses bras, rare moment de connivence avec cet enfant qu'il ne connait pas vraiment, sa femme Ava s'en occupant exclusivement. D'ailleurs, la maman également est absente, pas là à biner, à jardiner. Personne. Dans la cour, il découvre les empreintes d'un ours. À côté, sous le corps inerte et ensanglanté de sa femme, il trouve son fils. Vivant. Au milieu de son existence qui s'effondre, Liam a une certitude. Ce monde sauvage, cette montagne aussi majestueuse qu'impitoyable, n'est pas fait pour un enfant, ce d'autant plus qu'il se sent incapable de s'en occuper. Décidé à confier son fils à d'autres que lui, à son oncle et à sa tante qui sont à six jours de marche, il prépare un long voyage au rythme du pas des chevaux. le voyage ne se passera pas du tout comme prévu. le voyage se fera initiatique, lente chevauchée que l'on croirait presque épopée américaine tant la nature est imposante et défile au fil des trots des deux chevaux. Un territoire sauvage que Liam aime profondément.

« C'est pour ça que je vis ici, pour toucher du doigt, du bord du coeur, le territoire sauvage qui survit en moi et à ces moments-là quand les loups hurlent dans la montagne je sais que je ne suis pas seul ».


Sandrine Collette retranscrit avec intelligence les sentiments de ce père qui ne sait pas faire, qui a du mal, ayant lui-même subi une enfance marquée du sceau de la violence et de l'absence d'amour, nous vivons l'évolution de ces sentiments au fur et à mesure du récit. Ces ressentis sont, de plus, analysés à l'aune de sa douleur du moment, à l'aune de ce deuil terrible, Liam est fou de rage et de douleur. L'auteure nous raconte la façon dont il passe de géniteur à père. Tout n'est pas blanc ou noir en matière de sentiments intimes, nous voyons sans cesse les tiraillements entre un amour viscéral pour son enfant, amour qu'il ne sait pas accueillir et le désir de ne plus l'avoir avec lui ce môme inutile, au point même d'avoir des envies horribles et inavouables. Et que ces moments durant lesquels Liam tente maladroitement de se rapprocher de lui sont troublants…

« En vrai c'est la lueur éperdue dans ses yeux bleus qui me rend dingue, cette lueur qui me cherche simplement pour s'accrocher à moi, pour que j'ouvre une brèche une possibilité la largeur de mes bras et cette quête là, cette prière muette je n'y arrive pas il peut toujours rêver. La seule chose qu'il demande le gosse c'est un peu de tendresse un truc comme ça. Il ne le dit pas c'est invisible sauf que c'est tellement là que l'air en frissonne, et je sens les vibrations vers moi que je repousse d'un geste de la main et je voudrais lui dire que ce n'est pas la peine, la tendresse je n'en ai pas du tout ou pas pour lui, on n'est plus que deux et ce n'est pas pour ça que je vais me rabattre sur lui. »

Qu'il semble rustre Liam, qu'il semble taciturne, taiseux, animal, violent. le type d'homme que nous n'aimerions pas rencontrer. Et pourtant il m'a touché aux larmes. D'une part par ce qu'il a subi enfant et qui explique ses maladresses. Il a d'ailleurs bien conscience de répéter peut-être le même schéma familial. D'autre part, car il sait voir et ressentir ce que la plupart d'entre nous ne savent plus voir et ressentir, cette osmose avec la nature. Ce tout formé avec les éléments, la faune et la flore, que Sandrine Collette narre avec une intelligence et une sensibilité surprenantes qui a fait vibrer une corde en moi.

« le chant des loups nous appelle parce que c'est notre chant et aussi loin qu'on puisse remonter il y a l'éclat d'un animal en nous, c'est pour ça que ça m'émeut et que des larmes viennent brûler le bas de mes yeux. Ce n'est pas du chagrin c'est une émotion profonde viscérale racinaire et ceux qui ne ressentent pas ça ils ont tout oublié, ce sont des gens déjà morts ».


Le livre n'est ni moralisateur, ni manichéen. L'amour paternel de ce loup solitaire est approché à petits pas avec nuances. le récit est d'une rare humanité dans toute son animalité. Ces élans d'amour dont certaines personnes ne savent que faire, dont elles ont un peu honte, qu'elles gâchent sciemment en les transformant en brutalité, indifférence feinte, vulgarité sont présents dans ce livre, palpables au point de résonner en nous et peut-être de mieux comprendre l'autre dans son impulsivité. Des formes d'amour refoulées, mal gérées que Liam va apprendre petit à petit à montrer, à canaliser, à extérioriser alors que la présence de l'enfant met à jour ses propres failles.

Et que dire de cet enfant, Aru, aussi blond que le père est brun, dont les yeux bleu ciel semblent refléter la pureté, l'innocence que le père n'a jamais connue. Un enfant qui a perdu sa mère et qui se retrouve seul avec ce père si inquiétant, si peu rassurant. Un enfant terrifié, pétri de culpabilité contenue, pourtant courageux, confiant, qui va faire de son père, un vrai père. Cet enfant-là, je dois l'avouer, m'a fait briller les yeux à de multiples reprises dans sa façon d'être, sa façon de s'adapter à ce père singulier, et sa manière de venir panser la blessure intime de Liam, ses multiples et profondes failles. C'est lui ce petit bout d'homme qui va savoir tailler dans la pierre un coeur de père.

« Il y a des jours où je sens avec une force infinie que c'est le même qui fait de moi un homme je veux dire avec de l'humanité et pas seulement une machine vivante ».
Finalement n'est-ce pas là l'effet que font les enfants à leurs parents le plus souvent, de devenir des hommes et des femmes avec de l'humanité, pas seulement des machines vivantes, de devenir meilleur ? Et de pouvoir se dire alors que l'enfant fait de nous ce que nous devons peu à peu : « Les choses sont à leur place, je crois ».


Une lecture haletante sur une relation père-fils particulière dans un décor majestueux, une lecture qui se veut universelle sur la construction identitaire qui se joue entre parents et enfants, une lecture salvatrice profondément humaine permettant de mieux comprendre l'autre, dans toute sa fragilité et sa noirceur. L'écriture de Sandrine Collette est sublime et arrive à dégager une étonnante poésie, une poésie farouche, malgré la rudesse, la rugosité, l'âpreté du récit, beaucoup d'émotions malgré la noirceur. Un combo inoubliable !
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Le narrateur Liam vit loin du monde, dans une région de montagnes et de forêts encore sauvages, où il subsiste de la chasse et de la trappe, laissant seuls à la maison, pendant ses longues et très fréquentes absences, sa compagne Ava et son fils de cinq ans, Aru. Mais un jour, l'attend à son retour le corps sans vie de la jeune femme, tuée par un ours dont elle a juste pu protéger l'enfant. Déchiré entre son rôle de père et la gageure d'élever seul un bambin dans l'isolement de ces contrées inhospitalières, l'homme décide de se séparer de son fils et s'engage avec lui dans un périple dont les péripéties vont pourtant s'acharner à contrecarrer ses plans…


D'emblée, l'on pense à John Haines, le poète et écrivain américain qui, lui aussi, choisit la solitude dans une nature âpre et sauvage – dans son cas, l'Alaska –, subsistant en quasi autarcie de la pêche, de la chasse et de la trappe au rythme de tâches éprouvantes et physiques, la moindre négligence l'exposant à d'imparables dangers si loin de tout secours. Mais, contrairement à l'auteur du récit Les étoiles, la neige, le feu, le personnage imaginé par Sandrine Collette est un homme rustre, issu de la misère et de la maltraitance, qui, tel un loup quittant la meute, n'a trouvé de salut qu'en fuyant ses congénères, leur méchanceté et la rage qu'elle déclenche en lui.


Sous ces dehors brutaux, cet homme, que l'on pourrait dire revenu à une forme de primitivité presque animale dans sa vie toute entière consacrée à la simple subsistance en milieu naturel, est en vérité étranger, contrairement à bon nombre de ses semblables « civilisés », à toute forme de cruauté gratuite. Lui ne se comporte en loup que pour survivre et se nourrir. Et s'il fait d'abord montre d'une dureté extrême, tout en se résolvant à un choix impossible, en ce qui concerne son fils, c'est dans un réflexe de défense paniquée, leur dépendance mutuelle les mettant gravement en péril l'un comme l'autre. Au final, le contact des hommes s'avérera au moins aussi dangereux, en tous les cas plus cruel, que celui des fauves, ouvrant la question de qui sont vraiment les plus inhumains et les plus bestiaux…


Epousant, sans filtre ni apprêt, l'écoulement désordonné des pensées de ce taiseux sans éducation qu'est Liam, plus prompt à l'action instinctive qu'à l'introspection et à l'expression de ses sentiments, le récit court au rythme saccadé de phrases tantôt hachées et incomplètes, tantôt sinuant en un fleuve à peine ponctué de virgules, dans une langue dont l'aspect cru et fruste n'exclut pas une certaine poésie. Ainsi introduit dans la tête du personnage, au plus près de ses ressentis, le lecteur n'en est que plus happé par une de ces narrations haletantes dont Sandrine Collette a le secret, et qui, dans nombre de ses romans, resserre sa spirale autour de proies et de prédateurs lancés dans une traque éperdue.


C'est avec le plus grand plaisir que l'on suit l'auteur dans cette nouvelle exploration réussie de ses thèmes favoris, « à la frontière entre humanité et animalité », comme elle l'explique elle-même, et, toujours, dans le cadre inquiétant d'une nature aux beautés âpres et écrasantes.

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J'attendais avec impatience ce dernier livre de Sandrine Collette. J'ai lu tous ces autres livres et je les ai tous aimés. Je crois que celui-ci est mon préféré. Comme à son habitude la nature est au premier plan et surtout la proximité de l'homme avec la nature . C'est l'histoire d'un père désabusé et dans sa relation avec son fils .On ne se parle pas ,il n'y a rien à dire ,il suffit de se regarder. C'est comme un animal sauvage dont la progéniture serait née infirme .Tout une palette d'émotions (colère,peur haine ) magnifiée par un style unique . Chaque phrase est taillée au scalpel .Quel empathie,quel humanisme,quelle poésie.
Roman inoubliable, d'une clarté magnifique comme le paysage en couverture.
Gros coup de coeur 💙
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Un rendez-vous manqué avec le dernier livre de Sandrine Collette, On était des loups.

Le narrateur, jamais nommé, est un homme sauvage, reclus de la société. Il vit dans la brousse avec sa femme Ava et son fils de cinq ans Aru. Il vit de la chasse et voue une haine sans précédent aux hommes et à la société. Son langage est cru, simplet tel un ours des cavernes. Lorsqu'un beau jour, il retrouve sa femme morte après l'attaque d'un ours, il ne lui reste plus que ce second choix : son môme, Aru. Second choix oui car sans hésiter, l'homme sauvage aurait préféré que l'ours s'en prenne à son fils et garder sa femme. Décidé à se débarrasser de ce môme encombrant qui entrave sa liberté sauvage, il se met en route pour le refiler au premier venu.

Ce roman aux allures de nature-writing est anxiogène au possible. Aucun chapitre et très peu de ponctuation, j'ai eu l'impression de lire une seule ligne qui dure des pages et des pages. L'histoire est monotone et le langage du narrateur gonflé de ressentiments, de puérilité bestiale. Je me suis ennuyée tout le long du livre où il ne se passe rien. On est juste plongé dans un long monologue introspectif sans souffle, sans nuance d'un homme à qui on n'aura jamais appris l'art d'aimer.

Certains y verront certainement une prouesse, un livre remarquable, sensible à ce style peu commun.

#Onétaitdesloups #NetGalleyFrance
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Prix Renaudot des Lycéens 2022.
Prix Jean Giono 2022.

Au cours de ma lecture de On était des loups, je suis passé par tous les états. de la sensation de plénitude au coeur des montagnes et de la vie sauvage à l'horreur du drame qui peut survenir à tout moment, Sandrine Collette m'a fait vivre une aventure profondément humaine, émouvante, bouleversante, proche des larmes et… bonne surprise, d'une tendresse infinie.
Ainsi, l'autrice donne la parole à un homme brut de décoffrage qui vit dans la montagne. Où ? Ce n'est pas précisé mais j'ai pensé au Canada avant d'apprendre que le narrateur se nomme Liam.
C'est donc lui qui s'exprime dans un langage nature, sans fioritures, un peu fruste. Sandrine Collette maîtrise cela très bien, se passe souvent de virgule, même de points, sans me poser de problème de lecture.
Loin de la civilisation et de ses contraintes, cet homme vit avec Ava, une femme qui a bien voulu partager sa vie difficile. Il avait 22 ans, elle était étudiante et a tout quitté pour vivre avec lui. Leurs amis, plus proches voisins sont isolés aussi. Seul, Henry qui possède un avion, est à quatre heures de cheval.
Ava et Liam ont un enfant, Aru, qui a 5 ans, bientôt 6. Liam est souvent absent car il chasse dans la montagne pour nourrir sa petite famille et vendre peaux, fourrures et cuir en ville, à une heure d'avion de chez Henry.
D'autres couples vivent aussi dans la montagne comme Mike et Helen qui ont trois gosses « inutiles » comme le dit Liam. Si celui-ci aime son fils, il en confie complètement la charge à Ava mais se laisse tout de même émouvoir lorsque Aru l'attend au retour de la chasse et se précipite dans ses bras.
Seulement voilà, le drame ne tarde pas à survenir. Sans en dire plus, je peux seulement révéler que Liam se retrouve seul avec son fils et ses deux chevaux, Dark et Ball, ses « gros » comme il les appelle. Il veut se débarrasser du gosse car il ne se sent pas capable de l'élever, sa vie de chasseur passant avant tout.
Alors, Sandrine Collette me fait suivre cette aventure paternelle et filiale, un long cheminement qui permet d'apprendre de plus en plus de choses sur cet homme qui fut un enfant battu par un père alcoolique.
D'un événement à l'autre, Liam se livre à une sévère introspection pour un père seul avec son môme dans une nature souvent hostile.
Que de réflexions sensées sur l'enfance et de ce qu'il en reste à l'âge adulte ! Faut-il reproduire ou pas ?
Quand, dans la nuit, après l'orage, au coeur de la forêt, les loups se mettent à hurler, Aru veut chanter avec eux mais son père ne le supporte pas. Il est en colère contre la vie, contre le monde. le souvenir d'Ava le hante ; la tension est permanente entre espoir, inquiétude et peur du lendemain.
Maîtrisant parfaitement son personnage, Sandrine Collette met en place un face à face d'une tension extrême. Elle sait aussi aller vers la tendresse, la paix, la bonté.
Comment ne pas plaindre Aru, ce gosse ballotté par ce père complètement déboussolé ? Aru, un gamin admirable enfin qui pourra peut-être chanter avec les loups… mais pour le savoir, il faut lire et se laisser emporter par On était des loups, un livre déjà bien mis en valeur par le Renaudot des Lycéens, par le Prix Jean Giono 2022 et qui était en lice pour le Prix des Lecteurs des 2 Rives.

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« En ce temps-là on était des loups et les loups étaient des hommes ça ne faisait pas de différence on était le monde. »

Me voici plongée, presque à mon corps défendant, dans une lecture que je n'aurais jamais abordée sans l'incitation douce et persistante de Nico aka Nicky aka NicolaK. J'avoue avoir eu quelques difficultés, au début, à adhérer à la proposition de l'auteure : Liam, un homme taiseux et farouche vit seul dans la montagne avec sa femme Ava et leur petit garçon de cinq ans, Aru. Complètement isolés, sans téléphone, ni moyen de transport à part deux chevaux, sans un voisin à moins de plusieurs heures de marche, ils vivent en totale autarcie dans un lieu sauvage peuplé de loups et d'ours. Mon esprit rationnel fonctionnant à plein régime n'arrêtait pas de perturber ma lecture, me susurrant : ce n'est pas crédible à notre époque. Pas de téléphone? Pas la moindre possibilité de communication? Et ils vivent de quoi? Et d'abord, on est où? En France? Impossible. Nos montagnes et nos forêts ne regorgent pas d'ours. J'ai tenté de faire taire mon esprit raisonneur en lui faisant valoir qu'après tout, on se foutait du lieu où on était. Pour autant que j'en savais, on pouvait aussi bien être en Laponie, dans le Montana ou en Alaska, l'auteure ne le précise pas. Elle sème quand même quelques indices : les prénoms, Liam, Ava, Aru, Mike, Helen, Henry… et un panneau indicateur sur une route avec des miles inscrits dessus. Amérique du Nord, donc.

Ce petit problème avec moi-même à peu près réglé, un autre a aussitôt surgi : Ava se fait tuer par un ours en l'absence de Liam parti traquer le loup. Ce que ressent cet homme à l'instant où il découvre le corps déchiré de sa femme est proprement insoutenable, la tristesse s'est abattue sur moi comme un mauvais rêve et m'a poursuivie, tenace, tandis que Liam embarque son gosse dans un périple à cheval avec la ferme intention de le confier à la seule famille qui lui reste, un oncle et une tante :
« Moi je porte des armes j'abats des cerfs et je pars chasser pendant une semaine en bivouaquant sous les étoiles ou dans une tente, et au milieu de ces espaces-là il n'y a pas de place pour un enfant. »

Franchement, je n'aime pas la tristesse, je la fuis comme la peste. Pourtant, je ne peux pas dire que je lis habituellement des livres d'une folle gaieté, mais ils ne me rendent pas triste. Peut-être parce que les livres que je lis d'ordinaire se situent dans l'après. Ils reviennent sur des événements traumatisants ou tragiques vécus plusieurs années ou décennies plus tôt, événements que leurs auteurs mettent à distance, et cela, cette mise à distance est pour moi salutaire et réjouissante parce qu'elle m'apparaît comme une tentative (le plus souvent réussie) de mise en ordre du chaos. Alors qu'avec le livre de Collette, le chaos, je suis plongée dedans jusqu'au cou, car le chaos, il est dans la tête de Liam, et je suis dans la tête de Liam, une tête totalement retournée par la mort brutale de sa femme, et comment va-t-il faire, lui le chasseur, lui le trappeur, avec ce gosse sur les bras?
J'ai refermé le livre en me promettant qu'on ne m'y reprendrait plus.
Las, la prose envoûtante de l'auteure, d'une beauté âpre à l'image de son taiseux personnage et de la nature sauvage, a été la plus forte, j'ai repris ma lecture.

J'ai chevauché en compagnie de Liam et de son fils dans ces montagnes que je connais bien pour les avoir maintes fois parcourues à pied ou à cheval. Des montagnes sans doute moins sauvages qu'en Amérique du Nord, mais des montagnes quand même. Des taiseux farouches comme Liam, j'en ai connus. Pas des chasseurs ni des trappeurs, mais des bergers, des guides et des pisteurs. Des hommes vivant seuls dans des coins de nature préservée à trois heures de marche de la première habitation, j'en ai connus. Je n'ai en revanche jamais rencontré une jeune femme acceptant de vivre cette vie-là. Aussi isolée et loin de tout. Une partie de l'année à la rigueur, mais toute l'année, hiver compris, non. Surtout que l'hiver en montagne, c'est long, très long même, me revoilà en train de raisonner, c'est plus fort que moi.

À mesure que le périple de Liam et d'Aru se précise et se poursuit, je me sens de plus en plus dans mon élément, cela dit. Les chevauchées sur le bas-côté le long de routes sur lesquelles roulent des véhicules inconscients ne ralentissant pas l'allure, la rage qui vous prend à ce moment-là. le soulagement quand on s'éloigne de ces foutues routes, que le bruit agressif des moteurs se fait grondement lointain, puis murmure, puis silence.
Les marches harassantes dans des montées qui n'en finissent pas, les sentiers balcons à peine plus larges qu'une bordure de trottoir, avec la montagne abrupte d'un côté, le vide de l'autre, et les pierres qui roulent sous les pieds et sous les sabots, et il vaut mieux ne pas penser à ce qui se passerait si un pied ou un sabot venait à déraper ne serait-ce que de quelques centimètres. du reste, dans ces cas-là, comme dit Liam, il ne faut pas laisser le cerveau et surtout pas la peur prendre le dessus. Il faut rester connecté à ses sensations, laisser parler l'instinct, parce que sinon on est mort. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles Liam ne veut pas garder son fils avec lui maintenant que sa femme n'est plus. Son fils, ça le fait gamberger, il a peur pour lui, et dans la vie qu'il s'est choisie et qu'il refuse farouchement d'abandonner, il ne peut pas se payer le luxe d'avoir peur.

« Aru c'est la naissance de la peur dans ma tête et quand on commence à avoir peur on est exactement comme un con qui tiendrait une pique en l'air sous l'orage : on attire la foudre. »

De toute façon, quoiqu'on fasse, l'incident ou l'accident se produira. La vie, ça ne consiste pas à chercher à éviter les coups durs ou le malheur parce qu'ils sont inévitables. le mieux que l'on puisse faire, c'est se faire confiance, c'est faire confiance en notre capacité à les gérer, à les surmonter.
« Les accidents j'en ai vu j'en ai vécu je sais les aborder. Les accidents ça arrive toujours, c'est ça qu'on ne veut pas comprendre et ça ne sert à rien de vouloir les éviter, il faut apprendre à faire avec. »

J'ai accompagné jusqu'au bout ce père et ce fils dans leur périple de plus en plus incertain, de plus en plus dangereux aux allures de récit initiatique atteignant la dimension d'un mythe, j'ai frémi pour le petit Aru et j'ai grandement plaint la solitude de Liam.
« Je crois que c'est le plus effrayant me dire qu'elle ne reviendra pas et il y a un réflexe d'espérer qu'elle est partie pour un jour ou un mois ou même un an et puis non – d'espérer qu'un matin elle sera devant la porte devant la maison et la vie reprendra comme avant, mais l'avant n'existe plus et quand ma raison arrive à ce point-là ça vacille. C'est ce plus jamais qui m'accable il n'y a rien à négocier, ni un jour ni une heure, et je suis seul voilà la vérité. »

Cet homme traversé par des pensées et des émotions contradictoires, que la colère et la rage submergent par vagues —  « Je suis en colère contre la terre la vie le monde, et le monde je jure je lui ferai la peau » — ce père qui, n'ayant pas eu d'enfance, se demande comment il pourrait en offrir une à son fils, ce père qui a tant de mal à aimer, à aucun moment Sandrine Collette ne le juge. Elle sait que ce qui se joue là est aussi vieux que le monde et combien le chemin pour devenir le père de son enfant peut être tortueux, semé d'embûches, imprévisible, et dans certains cas, impossible.
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Dans chacun de ses romans, Sandrine Collette sait nous surprendre avec des sujets singuliers où la violence est tapie, prête à jaillir dès qu'on baisse la garde. Et ça marche car on en ressort chamboulé.
Liam est le narrateur de cette histoire. Il raconte comme il parle et ça va droit au but, sans filtre et parfois, c'est comme se prendre un coup de poing.
Le personnage central, c'est donc cet homme peu loquace, avec, dans son ombre, son fils dont on n'entend que rarement la voix mais qui occupe toutes ses pensées jusqu'à l'obsession.
C'est un solitaire qui vit du produit de sa chasse dans un endroit reculé et sauvage de la montagne.

« …et pour moi, ça avait toujours été clair, je voulais vivre au milieu de nulle part et chasser et vendre mes peaux et voir le soleil se lever chaque matin sur la montagne.

Ava est venue partager sa vie, un petit garçon est né. Tout va bien jusqu'à la disparition dramatique de la mère. le père se retrouve seul avec son gamin dont il ne sait que faire. Ils vont partir, chevaucher des jours au rythme lent de leurs deux chevaux, et, tout au long de ce voyage, Liam va s'interroger sur sa paternité. Il ne sait pas parler à son fils, il est maladroit et supporte difficilement l'idée d'avoir à assumer seul son rôle de parent. Lui reviennent les souvenirs de son enfance, faite de maltraitance jusqu'à sa fuite à 16 ans.

« le souci, c'est que je n'ai pas les mots. Je ne suis pas capable de parler à un enfant j'ignore comment on fait »

Liam va devoir envisager un avenir pour ce gamin taiseux et fragile mais il n'y a pas de place pour lui dans sa vie de chasseur pisteur. Ce cheminement d'un homme rustre pas taillé pour le rôle de père se déroule dans une nature sauvage et hostile ou rodent les bêtes sauvages et tous les dangers, où les éléments peuvent se déchainer sans crier gare. Mais la brutalité des hommes est aussi présente et elle va provoquer ce basculement où les rôles s'inversent. La violence poussée à son paroxysme peut parfois donner naissance contre toute attente à des pensées plus humaines.
Dans ce texte dense et tendu comme un arc, on suit pas à pas un père et son fil qui doivent s'apprivoiser tout en faisant face à l'adversité.
Dans une écriture efficace et sans fioritures, Sandrine Collette nous livre un récit de vie abrupt et sombre, reflet de ces montagnes rudes et insensibles à la détresse humaine. Et on en sort bouleversé.


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