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Critique de Eric75


Rien de tel qu'une spécialiste de la question pour tenter un éclairage sur l'un des pans les plus obscurs de la science actuelle : la matière noire. le second pan étant l'énergie sombre (1), mais il n'en sera pas question ici (on peut échanger à volonté « noire » et « sombre » dans les deux dénominations, qui résultent de la traduction de « dark » et sont interchangeables). Or, on peut faire confiance à Françoise Combes qui connaît bien le sujet.

Agrégée de sciences physiques, docteur d'Etat en astrophysique, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire Galaxies et cosmologie, Françoise Combes (nous dit sa bio) a été sous-directrice du laboratoire de physique de l'Ecole normale supérieure d'Ulm, astronome à l'observatoire de Paris, et a dirigé le programme « Galaxies » du CNRS. le palmarès a de quoi impressionner, et par ce livre, une partie de son savoir est mis à la portée de tous.

La matière noire représente 27 % de l'énergie totale de l'Univers et la matière ordinaire seulement 5%, or, nos connaissances sur la nature de cet élément se réduisent encore aujourd'hui à des hypothèses.

Toutes les hypothèses sur cette matière sont sur la table… et sont dans la table des matières du livre de Françoise Combes !

Après un classique rappel des premières découvertes historiques (on retrouve bien sûr le célèbre Fritz Zwicky, sorte de Géo Trouvetou de la cosmologie connu pour ses idées farfelues), l'auteur aborde à bras le corps les différents scénarios, axes d'étude et angles d'attaque, et insiste sur le fait que rien n'est aujourd'hui tranché. Matière noire chaude ou matière noire froide, voire tiède, neutralinos, WIMPs, MACHOs, surnommées les mauviettes et les machos, toutes les stratégies d'approche sont donc possibles, modifications des lois de la gravitation, modèle MOND… qui sortira vainqueur dans cette lutte ?

L'auteur conclut tout aussi classiquement son récit par un exposé des perspectives et des expériences à venir, illustrées en particulier par les projets SKA et Euclid, certes il faudra attendre les années 2020, mais c'est demain !

L'exposé est extrêmement pointu, le lecteur trouvera à l'envi dans cet essai énormément de relevés chiffrés, de signes cabalistiques peu connus (comme le symbole représentant la masse solaire), de notations, de courbes, de schémas, de diagrammes, de formules et de résultats de simulations par ordinateur, qui donnent à cet ouvrage un petit air de publication universitaire adressée aux spécialistes.

De plus, l'auteur utilise un vocabulaire extrêmement spécialisé avec lequel il convient de se familiariser. Même si chaque terme utilisé est défini (ou pas) lors de sa première apparition, le sens dépend du contexte, et il est parfois difficile pour le lecteur lambda de mémoriser tous les concepts, tels que : warp, redshift, cuspide, oblate, bulbe, tomographie, gaussianité, accrétion… soyez bien attentifs !

Si l'on compare cet ouvrage à celui de Gianfranco Bertone (Le mystère de la matière noire : Dans les coulisses de l'Univers) qui traite le même sujet, voire le même contenu, on constate que le fond et en effet identique, mais que la forme diffère totalement. A noter que ce dernier a été préfacé par Françoise Combes. A l'époque où j'ai lu le livre, j'ai signalé à mon ami Relax (aujourd'hui BazaR) lors d'un échange sur Babelio (2), que s'il était certes plus documenté scientifiquement, il lui manquait peut-être ce « supplément d'âme » qui caractérise tout bon ouvrage de vulgarisation. Mais est-on toujours dans la vulgarisation ?

Le lecteur aguerri et initié (ou volontaire et tenace) parviendra tout de même à digérer et assimiler les savantes démonstrations et les ardus exposés et pourra in fine retenir deux ou trois idées :

1. Après avoir parcouru toutes les hypothèses supposées expliquer la matière noire, on s'aperçoit qu'il y a toujours à la fin un truc qui ne colle pas : le compte n'y est pas, il manque de la masse, il manque de la vitesse, il manque du moment angulaire, il manque « une multitude de petits halos noirs » qui n'ont pas été détectés, le relevé des mesures s'écarte des courbes théoriques, les mesures restent imprécises, les résultats indécidables, etc. bref, il manque toujours 3 cents pour faire 1 euro ;
2. Les théoriciens mettent en avant des hypothèses risquées (pour ne pas dire incroyables) comme la nécessité de faire intervenir des dimensions supplémentaires (modèle de Kaluza-Klein, modèle de Randall-Sundrum), de revoir les lois de la gravitation (MOND), etc. ;
3. Les chercheurs imaginent des particules théoriques idéales (on phantasme beaucoup sur les jolies supersymétries des SUSY) mais dont l'existence n'a jamais été confirmée par nos détecteurs (LHC, Edelweiss, télescopes à neutrinos) pourtant de plus en plus performants ;
4. La matière noire pourrait ne pas exister, tout simplement (3), tout cela ne pourrait être qu'une illusion, un raté, une conséquence de nos théories trop imprécises (comme l'éther à la fin du XIXe siècle, jamais détecté et pour cause !) ;
5. Les expériences de demain vont pouvoir nous en dire plus, mais il va falloir attendre encore un petit peu.


Faut-il conseiller le Françoise Combes ou le Gianfranco Bertone ? Je ne me prononcerai pas en faveur de l'un ou de l'autre de ces deux ouvrages traitant un sujet difficile. Gianfranco Bertone et Françoise Combes excellent chacun à leur façon et pour leur cible de lecteurs. de nombreux ouvrages de vulgarisation abordent par ailleurs le sujet de la matière noire. Je pense qu'il ne faut pas hésiter à lire plusieurs livres qui se complètent pour se faire une meilleure idée de la question. Si le sujet vous intéresse, vous pouvez également lire les ouvrages d'Alain Bouquet, de Michel Cassé, de Rober H. Sanders et de Joseph Silk (cf. ma liste, déjà ancienne – elle date de février 2014 – dans Babelio). Bonnes lectures à tous ! 😊
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(1) Pour faire simple, la matière noire (27% de l'énergie de l'Univers) doit compléter la matière ordinaire connue (5% de l'énergie de l'Univers) pour expliquer le comportement et le défaut de masse des galaxies dans certaines observations, et l'énergie sombre (68 % de l'énergie de l'Univers) est à l'origine d'une pression négative supposée expliquer l'accélération de l'expansion de l'Univers.
(2) « le livre de Françoise Combes, est finalement tellement "scientifique" que l'on a l'impression de lire un mémoire de thèse. Chiffres et données omniprésents, langage froid... Il lui manque ce "supplément d'âme" qui font toute la saveur de certains auteurs (par exemple Étienne Klein et Kip Thorne) qui n'hésitent pas à ajouter considérations philosophiques, contextes historique et politique, vie privée des chercheurs et savants, et même assez souvent, humour de bon aloi (lequel humour provenait parfois des facétieux savants eux-mêmes...) » (19 août 2016).
(3) « En 2017, André Maeder de l'Université de Genève (UNIGE) propose de prendre en compte une nouvelle hypothèse dite de « l'invariance d'échelle du vide ». Les premiers tests du modèle semblent corroborer les observations. le nouveau modèle permettrait de se passer de matière et d'énergie noire. » (Wikipédia).
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