Connaissance des Arts - HS, n°567

Il prend une église et peint avec une église
Il prend une vache et peint avec une vache+Il prend une sardine
Avec des têtes, des mains et des couteaux
Il peint avec un nerf de bœuf
Il peint avec toutes les sales passions
d'une petite ville juive
Avec toute la sexualité exacerbée
de la province russe

Blaise Cendrars, Portrait de Chagall, 1913

Il y a une sorte de discours convenu qui consiste à considérer que Chagall est intéressant dans sa période russe et médiocre à partir de son arrivée en France. Alors de deux choses l'une, soit il a perdu son talent en émigrant, soit c'est nous qui ne savons pas bien regarder.

« Mon cirque se joue dans le ciel, il se joue dans les nuages parmi les chaises, il se joue dans la fenêtre où se reflète la lumière » (Marc Chagall).

Le village de sa Russie natale et son cortège de paysans et de vaches rouges, Bella et les couples d'amoureux volants, la France, sa tour Eiffel et son génie des Fables, le monde juif et ses traditions : dans l'oeuvre de Chagall, il y a toute la vie du peintre. Le naturel et le surnaturel, le folklore et la modernité s'y confondent, et l'art est un langage encore capable de raconter le monde.

C'est amer et déçu que Chagall quitte la Russie en 1922 pour s'installer bientôt en France, qu'il considère comme sa seconde patrie. A travers ses illustrations lyriques des Fables ou de la Bible, il affirme sa voie singulière, à la recherche d'un dialogue avec la tradition française qui finit par atteindre des accents universels.

En créant les décors et les costumes du Théâtre d'art juif, Chagall peut conjuguer son goût pour la musique, la danse et le théâtre et s'adonner à une expérience sans précédent : mettre son enthousiasme et sa verve au service d'une oeuvre totale.

Les années russes de Chagall sont celles des grands bouleversements et le jeune artiste fait son apprentissage en même temps que s'épanouissent les avant grdes. Compagnon de l'aventure révolutionnaire, Chagall développe pourtant sa propre mythologie personnelle, cultivant tout un folklore bizarre et joyeux qui ne le quittera plus.