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Critique de gabb


gabb
07 février 2021
Le problème avec les bons bouquins, c'est qu'on brûle d'envie de connaître la fin sans être jamais pressé de les terminer...
On a tous connu ça hein ?
Dernier exemple en date : le Prince des Marées, tiens. Mille et quelques pages qu'on avale d'une traite, tiraillé entre l'impatience de découvrir le sort réservé à chacun des membres de la famille Wingo et la crainte de voir un jour leur formidable histoire prendre fin.

Et une fois le dernier chapitre achevé, le plus dur commence : dire adieu à Tom Wingo, prendre une grande inspiration et s'atteler à la rédaction d'un petit billet pas trop bancal.
Ne visons pas l'exhasutivité (les thématiques abordées sont tellement riches et nombreuses !) mais tâchons simplement de remercier comme ils le méritent Pat Conroy et tous ses lecteurs qui, par leurs critiques enthousiastes, m'ont motivé pour ce long voyage autour de Colleton, en Caroline du Sud ! Quel dépaysement, quelle incroyable immersion dans les marais du Sud, quelle finesse dans les portraits psychologiques des personnages et quelle stupéfiante succession de drames au sein de cette famille tellement dysfonctionnelle !

Entre un père instable, colérique et violent, une mère manipulatrice et dévorée d'ambition, une grand-mère fantastique et un grand-père mystique, rien d'étonnant à ce que le narrateur Tom, sa jumelle Savannah et leur aîné Luke soient depuis toujours confrontés à quelques petits désordres du ciboulot.
Patiemment, à coups de flash-backs imbriqués mêlant souvenirs d'enfance, péripéties diverses et dialogues mordants, Pat Conroy démonte l'un après l'autre les rouages de ces déséquilibres psychiques qui ont fait de Tom cet homme complexe et attachant, marqué de cicatrices profondes, qui se fait là "le piètre biographe de ses propres échecs" et qui "traîne dans [sa] vie d'adulte la nostalgie d'une enfance volée".
Cela ne l'empêche pas de faire preuve en toutes circonstance d'un humour acide et ravageur, d'un exceptionnel sens de la répartie, d'une nonchalance et d'une lucidité rares qui me l'ont immédiatement rendu très sympathique !

Comment rester insensible à l'amour inconditionnel qu'il voue à son frère et à sa soeur ?
Comment n'être pas touché par la mission qu'il s'est fixée vis à vis de Savannah, devenue grande poétesse torturée ("le mieux que je pouvais faire pour ma soeur était de raconter mon histoire à moi, avec un maximum de sincérité [...] Je voulais expliquer pourquoi ma soeur, ma jumelle, s'ouvrait les veines, pourquoi elle avait des visions abominables, pourquoi elle était hantée par une enfance à ce point conflictuelle et dévalorisante qu'elle avait peu de chances de jamais pouvoir se réconcilier avec son passé") ?

Les notions de pardon, de résilience, d'acceptation de soi et du tort causé par autrui font elles aussi partie intégrante de ce grand roman qui, en plus de tout le reste, en dit beaucoup sur l'Amérique, les antagonismes entre le Nord et le Sud, le mépris mutuel que s'opposent les prétentieux New-Yorkais et les cul-terreux de Colleton, les sombres années de ségrégation dans les états du Sud, puis celles non moins tragiques de la guerre du Vietnam et de la funeste course à l'armement nucléaire.

Vous l'aurez compris : le prince des Marées est un livre dense et foisonnant, diablement prenant, qui fait résonner en nous "cette farouche musique intérieure faite de sang, de ferveur et d'identité", un livre qui forcément nous interroge sur nos propres fratries et sur les évènements plus ou moins heureux qui nous ont façonné.
Sans doute sommes-nous nombreux, comme Tom Wingo, à pouvoir dire :
"J'ignore si c'est une famille normale ou non. Je sais seulement que c'est la seule famille dans laquelle j'ai jamais vécu."

Bien plus vaste que la "simple" analyse psychanalytique ou le classique récit familial, le Prince des marées est donc roman brillant, où la qualité des dialogues le dispute à celle des longues descriptions de la vie dans les marais.
Un texte puissant au succès international amplement mérité !
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