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Critique de Laureneb


Oui, d'abord, en tant qu'historienne, il y a cet intérêt scientifique de lire le récit d'un homme qui est à la fois témoin, acteur et historien. Daniel Cordier a "le goût de l'archive", parce qu'il a soif de vérité. Quand il ne peut se fier à sa mémoire seule de témoin pour retranscrire des réunions, des procès-verbaux, des entretiens..., il cite ses sources, des lettres, brouillons, rapports ect. qu'il a retrouvés dans les archives ; quand il a peur d'oublier des détails ou de se tromper en tant que témoin, il invoque d'autres personnes, d'autres témoignages. Il recherche la rigueur historique objective, pour prouver ce qu'il avance, le rôle décisif de Moulin, son engagement sans faille dans la Résistance gaulliste. Cette rigueur de l'historien s'allie de façon bouleversante au témoignage subjectif, à une mémoire personnelle de celui qui voue, de son vivant, un hommage voire à culte au "Patron", décrit à la fois comme un chef inflexible, comme un brillant politique, mais aussi à titre personnel comme un mentor, voire comme un père. Pour moi, ce sont les passages sur les relations personnelles entre Rex et Alain qui m'ont le plus touchés, ceux où l'homme apparaît derrière le Chef ou derrière le héros : quand Rex sourit devant un tableau, quand Alain lui apporte un croissant obtenu difficilement au marché noir, quand il offre lui-même à Alain une écharpe... Oui, on voit un homme, l'homme et non le mythe. Cordier l'écrit plusieurs fois, la simple mention "amitiés" sur un télégramme le bouleverse.
Ensuite, en tant que lectrice de roman historique, c'est le rappel du contexte que j'ai particulièrement apprécié. Cordier l'écrit, la Résistance n'est pas "romanesque". Il n'est question que de déjeuners ou de dîners, de rapports tapés à la machine, de boîtes aux lettres, d'envois de télégrammes. Non, a priori, rien d'épique, mais un travail de bureau concret, harassant, répétitif même. Oui, à distance, avec nos moyens modernes, on ne se rend pas compte des difficultés énormes à simplement communiquer entre personnes de la même ville, encore plus avec Londres, si loin. Que de temps perdu, d'hommes ou de femmes sacrifiés, de missions non remplies... à cause de problèmes matériels, de communication.
Enfin, cette oeuvre dessine en creux le portrait émouvant de Daniel Cordier, lui qui se dépouille progressivement ses identités d'emprunt. "Dany", pétri de royalisme, d'antisémitisme, de désir de revanche, de sens de l'honneur, de patriotisme maurassien, s'engage à vingt ans pour "combattre et tuer des boches". Devenu un Frenchman, il voue une admiration à De Gaulle et s'entraîne militairement. Arrivé en France en tant qu'Alain, secrétaire de Rex, il regrette de ne pas faire de service actif, ayant l'impression qu'il n'est pas sur le bon champ de bataille. Ce jeune bourgeois privilégié découvre peu à peu le froid, la faim, la débrouille, rencontrant aussi des membres de la classe ouvrière dont il ignorait tout. Oui, toutes ses rencontres le transforment progressivement, il délaisse peu à peu ses convictions maurassiennes, royalistes, son antisémitisme - une scène très émouvante lorsqu'il rencontre un homme porteur de l'étoile jaune. Au contact de Rex, il développe aussi un goût pour l'art contemporain, avouant qu'au départ il ne considère ce sujet que comme une couverture dans la rue, mais que, voulant plaire au "Patron", il s'y intéresse. Ses idées politiques, ses goûts changent, tout comme sa vision de lui-même : il ose se dire son homosexualité, il la comprend.
Un livre remarquable, sur un grand homme, écrit par un grand historien lui-même un homme remarquable.
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