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Critique de Darkcook


Il y a plusieurs années, j'avais rédigé une critique à la hâte, dénigrant la pièce et Corneille. Je fonctionnais alors par systématisme manichéen opposant la liberté absolue et la folie jubilatoire de Shakespeare à la froideur frustrante enserrée dans les carcans des codes du théâtre classique français de Corneille. J'étais tombé sous le charme des pièces du grand William durant mes études universitaires avec des profs géniaux, et à l'inverse, une prof horrible spécialiste du XVIIe siècle français et XIXemophobe au possible (comment pouvions-nous nous entendre hein, pour ceux qui me connaissent?) avait associé Corneille, Molière, Racine (ce qui est terrible!) à sa personne qui m'insupportait. Mais tout ça, c'était avant. Avant que je ne sois prof moi-même, avant que je me trouve contraint d'enseigner le Cid à des 4e et prenne un plaisir fou à leur faire découvrir la moindre subtilité de la pièce, de ce langage élégant dont il faut posséder les clés, et du jeu avec les contraintes... Voir année après année chaque classe de 4e que j'avais s'envoler et se passionner pour cette pièce sous ma baguette fit non seulement partie des récompenses de mon travail, mais m'a fait évidemment revoir mon jugement immature sur la pièce, l'auteur et le siècle (et mea culpa pour Molière et Racine aussi, surtout ce dernier où je me régale toujours lorsque je tombe sur des passages et je déplore son absence dans ma bibliothèque...)

Bref, ce qui est incroyable avec le Cid, c'est qu'il est érigé en modèle de pièce tragique française classique, alors qu'en réalité, attention spoiler.... Après 95% de tragédie pure, il se finit en tragicomédie. Rodrigue et Chimène s'aiment, mais leurs pères sont en conflit pour le poste de Gouverneur du Roi. le père de Chimène déshonore le père de Rodrigue par un soufflet (généralement, j'encourage mes élèves à se mettre des soufflets!), mais, trop vieux, le père de Rodrigue demande à son fils de rétablir son honneur, véritable obsession pour tous les personnages tout au long de la pièce, système répétitif là aussi fascinant à souligner aux élèves. Rodrigue est donc tiraillé, mais c'est très célèbre, entre l'honneur de son père (et par extension le sien), et son amour pour Chimène. Tuer le père de Chimène et perdre celle-ci, ou ne pas le tuer et laisser son père dans l'infamie (généralement, là, je suis inarrêtable sur la fama latine, fame/infame qu'on retrouve en anglais, blablabla...) Il y a plein de passages passionnants à étudier, lorsque le père de Rodrigue emploie la rhétorique à merveille pour persuader son fils de le venger, la description épique par Rodrigue de la bataille contre les Maures (qui joue avec l'interdiction à l'époque de représenter la violence sur scène, et on peut s'imaginer diverses mises en scène actuelles), le duel hors-scène et l'annonce de son dénouement plus tard (idem), le bouleversement final si inattendu du tout est bien qui finit bien... Que de souvenirs formidables avec des classes formidables et éminemment réceptives. Merci les élèves de m'avoir ouvert les yeux! Je retourne à Dostoïevski...
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