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Critique de BazaR


Voilà une pièce riche en séductions diverses.

L'intrigue que l'écheveau de sentiments rend complexe, d'abord. Corneille place l'action en 250 en Arménie, sous le règne de l'Empereur Decius – un persécuteur de Chrétiens. Félix, gouverneur romain d'Arménie, a donné sa fille Pauline à Polyeucte, seigneur arménien de premier plan. Pour Félix et sa fille, il s'agit d'un mariage de raison, plus exactement d'un « second choix » politique dépourvu d'amour. L'amour de la vie de Pauline s'appelait Sévère et est mort à la guerre. Polyeucte, lui, éprouve de vrais sentiments pour Pauline. Deux évènements se produisent : Polyeucte se convertit au christianisme militant et s'en prend immédiatement aux païennes cérémonies romaines, risquant du coup la mort. Et Sévère n'est pas décédé ; il a même l'oreille de l'empereur et arrive dans la cité en tant que son représentant.
Pauline se retrouve déchirée entre son ancien amour pour lequel elle éprouve encore une grande force d'amour, et son époux qu'elle entend soutenir par devoir (Pauline a le devoir chevillé au corps). Sévère espérait reprendre les choses où il les avait laissées avec Pauline, mais la situation de celle-ci le brise. Honnête, il peut la supporter mais comment gérer le comportement de lèse-majesté de Polyeucte ? Félix a peur que Sévère ne cherche à se venger de ne plus voir Pauline disponible. Il va hésiter entre un jugement dur sur Polyeucte afin de ne pas être taxé de tolérance envers les Chrétiens et l'envie de sauver son gendre qu'il apprécie.
Evidemment les personnages feront un noeud à leurs sentiments, s'accrocheront à leurs principes et l'inévitable et dramatique conclusion s'ensuivra. Corneille excelle à pousser ses personnages au bout de leur logique. J'ai retrouvé ici la même notion de devoir si puissante qu'elle annihile la liberté de choix et de bonheur que dans Horace.

Le contexte historique de l'époque de création, ensuite. Polyeucte est une tragédie chrétienne qui permet à Corneille de faire l'apologie de la religion catholique sans sombrer dans l'extrémisme du parti Dévot (parti qui froisse la reine régente Anne d'Autriche et son nouveau premier ministre Mazarin) et en prônant la tolérance religieuse (en référence aux Protestants).
Sur la tolérance, toutefois, seule la fin qui tombe un peu comme un cheveu dans la soupe l'exprime clairement à travers le personnage de Sévère. Pour le reste, comme homme de mon temps j'interprète le comportement « martyr » du chrétien Néarque et du tout juste converti Polyeucte comme du fanatisme religieux et de l'intolérance. Si, dans la France du 17ème siècle, il est concevable de louer de cette manière la ferveur religieuse chrétienne face au paganisme, c'est beaucoup moins acceptable de nos jours alors que nous subissons à nouveau le fanatisme religieux de plein fouet. L'attitude jusqu'au-boutiste de Polyeucte m'a mis mal à l'aise je l'admets.
Corneille use aussi beaucoup de la grâce divine afin de justifier le comportement de Polyeucte. Pourquoi est-ce lui, tout juste baptisé, qui prend l'initiative de l'action fanatique alors que son mentor chrétien Néarque hésite ? Pourquoi Polyeucte va-t-il jusqu'au bout, souhaite-t-il le martyr ? Parce qu'il a été frappé par la Grâce, lui seul. Dieu choisit à qui il l'a donne. C'est donc une idée très augustine, très janséniste qui est portée ici. Cependant, le débat théologique autour du jansénisme n'a pas encore eu lieu. Il faudra attendre une grosse dizaine d'années pour qu'il culmine avec la lutte entre Paris et l'abbaye de Port Royal.

Enfin, il y a la musique des mots de Corneille. C'est toujours un plaisir de lire ses alexandrins.
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