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Critique de ODP31


Je suis ravi de faire la connaissance de la prose langoureuse d'Albert Cossery.
Dans "Mendiants et Orgueilleux", paru en 1955, le meurtre d'une prostituée dérange à peine la douce torpeur des quartiers les plus pauvres du Caire et de ses habitants, aussi pittoresques que pauvres.
Dans ce roman, l'enquête fait de la figuration, vague arrière-plan d'une toile débordante de vie où les personnages phagocytent l'espace.
Il y a Gohar, intellectuel qui a abandonné sa charge universitaire pour mener une vie de mendiant. Un philosophe du dénuement qui ne veut plus être complice d'une société qui prive les hommes de leur liberté. Impossible d'exercer une quelconque pression sur ceux qui n'ont plus rien. Gohar, qui vit dans un « démeublé » et dort sur un tas de journaux, sanctuarise sa quiétude en mâchant du haschich. Tel un philosophe grec, il tient des audiences au gré de ses flâneries dans les rues du Caire.
Son dealer, Yéghen, est son premier disciple. La nature l'a paré d'un visage disgracieux mais il n'est pas rancunier et savoure chaque instant de sa vie.
Son voisin, un manchot, cul de jatte, vient se réfugier chez lui pour se protéger des crises de jalousie de son épouse.
El Kordi est un fonctionnaire, révolutionnaire frustré, amoureux d'une prostituée, prêt à s'accuser du meurtre pour la cause des misérables, et dont le chef a volé la plume « sous le fallacieux prétexte qu'elle se rouillait par manque d'usage ».
Il y a aussi Nour El dine, policier homosexuel chargé de l'enquête, fasciné et contaminé par ce biotope si fier de sa marginalité.
Poète de l'oisiveté, l'empathie d'Albert Cossery pour ses personnages est contagieuse et je suis tombé sous le charme de ses phrases qui s'écoulent au rythme d'un sablier. Miracle de fluidité, ce texte chasse l'ennui par une dérision permanente. Aussi exquis qu'une sieste dans un hamac, bercée par une brise légère.
Dandy parisien né au Caire en 1913, mort en 2008 à l'âge de 95 ans, Albert Cossery vécut comme il a écrit, comme ce qu'il a écrit.
Comme son grand-père et son père avant lui, il ne travailla jamais vraiment, traversa la vie avec nonchalance et consacra son oeuvre aux intouchables... pour les rendre touchants.
Seul bémol à ce concert de louanges, le peu de place et de considérations faites aux femmes dans le roman.
Je finirai ce billet par la première strophe de la chanson éponyme Mendiants et orgueilleux de Georges Moustaki, écrite pour un film tiré du roman :
A regarder le monde s'agiter et paraître
En habit d'imposture et de supercherie
On peut être mendiant et orgueilleux de l'être
Porter ses guenilles sans en être appauvri.

Vous ne perdrez pas votre temps à lire ce roman. Ne serait-ce que pour profiter pleinement du temps qui passe.
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