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Critique de fanfanouche24


Librairie Chantelivre- Issy- Les-Moulineaux- 30 septembre 2023

Double Coup de coeur et coup de poing, dans un même tourbillon !...

Cet écrivain - photographe qui nous avait déjà raconté son abandon de la photographie dans " La Dernière photo", après l'avoir pratiquée passionnément plus de 20 ans, cette fois, nous relate son véritable " parcours du combattant" lorsqu' il décide de tout laisser pour se consacrer à son rêve, désormais : celui d'ÉCRIRE....

Et pour pouvoir ÉCRIRE à plus de cinquante ans il faut que " notre écrivain en devenir" trouve un boulot alimentaire pour pouvoir réaliser son objectif...Et cela va se révéler bien plus compliqué que prévu !!

" L'apprenti écrivain " va en faire les frais...en devant faire tous les petits boulots possibles et imaginables !

Le tour de force de ce récit, c'est que partant d'un rêve personnel, individuel d'ÉCRITURE, Frank Courtès nous fait toucher du doigt AUTRE CHOSE !

Confronté à un quotidien jamais imaginé, le narrateur, après avoir reçu une honorable éducation classique et privilégiée, puis gagné très confortablement sa vie comme " photographe
indépendant " pendant de très nombreuses années, il se voit, en renonçant à " la grimpette sociale" normale, attendue, relégué dans les marges, intégrant malgré lui cette drôle de "hors- catégorie " des " Nouveaux pauvres "!...

Mais rien ne va le rebuter...Quelques heures de liberté durement gagnée pour ÉCRIRE...et cela le console de presque tout !

Je choisis de transcrire un très bel extrait sur ce besoin d' ÉCRIRE :

"Dans un bureau tu serais à l'abri.

C'est simple: j'écris en partie contre le silence.Les vieux laissent la radio allumée toute la journée, certains parlent à leur téléviseur. Cela fait une présence. Les églises n'y suffisent plus.Moi, j'écris. J'écris à des amis absents, imaginaires et que je ne sais pas me faire dans la vie réelle. Beaucoup s'imaginent un Dieu à qui parler, moi juste quelques amis.Ce qu'il y a de beau, c'est la sincérité avec laquelle on croit à ce qu'on imagine. Même ceux qui prétendent ne croire en rien, dans le noir ils ont peur de quelque chose qu'ils ne peuvent pas s'empêcher d'imaginer. On imagine beaucoup au fond.Tant qu'il y aura de la place pour l'imagination, il y aura des dieux, des artistes et des monstres dans le noir. "

Je reviens au récit des petits boulots, ces fameuses " missions" comme celles des
" pauvres journaliers " d'antan, après la guerre !

Ce descriptif nous fait toucher du doigt les tragiques transformations du monde du travail, ces immondes applications, " plateformes" de
" Marché d' Humains"...Les 6 premières personnes répondant à une demande vont, pour se rendre plus attractives, et obtenir " la mission du jour", baisser au maximum le prix horaire de leurs services !

Envolés, disparus la protection sociale, le droit du travail, le droit des salariés à se défendre, etc.
Juste la Loi de la Jungle !!

Frank Courtès, en nous décrivant tous ces petits boulots invraisemblables, sous-payés au-delà de l'acceptable, nous dévoile les dérapages monstrueux de notre société " libérale " et faussement démocratique, montrant du doigt les hypocrisies, les mensonges par la cupidité de quelques uns et les politiques d'autruche des uns et des autres, en train de rendre ce monde
" inhabitable" !!?

Cela m'a évoqué plusieurs fois le souvenir tenace d'une autre lecture, celle du " Quai de Ouystreham" de Florence Aubenas; récit d'un monde parallèle du travail dévalué créé par un système économique injuste: un sous- prolétariat devenant un no man's land invisible d' INVISIBLES !!

Ce récit désespérant est " sauvé " par l'énergie incroyable de l'auteur, son humour grinçant, sa faculté jubilatoire d'autodérision...qui , dans un même temps, nous en met plein la figure, et l'air de rien, nous interpelle sur notre monde qui
" déconne grave" !!!

Sans parler des aléas plus personnels concernant la sphère privée, familiale, amicale: le mépris, l' incompréhension des proches, la honte du déclassement ...!

Heureusement subsistent le Bonheur, la Joie de l' Imaginaire, de l'Écriture, de la littérature...d'un objectif " noble" que notre " Apprenti - écrivain" va atteindre au bout de ce chemin de
" Manoeuvre" aux multiples " humiliations !

Vous aurez compris pourquoi, en début de ce ressenti, je parlais de cette lecture comme d'un double " coup de coeur- coup de massue", dévoré, ceci dit, en une nuit...

Bravo et MERCI à Frank Courtès pour son talent, son opiniâtreté et sa faculté à nous " déciller" les yeux devant les dérives de notre système....

Un dernier mot et extrait pour parachever mon enthousiasme sans réserve pour ce livre de qualité : une Tendresse certaine de l'écrivain pour les gens, et toute cette part de la population, marginalisée et fragilisée qu'il a côtoyée...et avec laquelle, il compatit sincèrement...

"La valeur de ce café sinistre tient au fait qu'il ne ment pas.La vérité éclate, crue.La vie se livre nue, avoue ses crimes, ne dissimule pas ses victimes.Dans un café lugubre, on ne nous la fait pas.
Aux heures de vie perdues entre ces quatre murs répond le temps gagné sur la mélancolie. Celle qui tombe sur la tête des pauvres gens, comme on dit, dès qu'ils mettent la clef dans la porte de chez eux..
Ici, dans ce café miteux, le répit allège de quelque chose. Je croque dans mon sandwich et j'essaye de mâcher lentement. Je n'ai plus envie de partir.Plus besoin d'être poli avec le monde de dehors, le conducteur de bus ou la boulangère. Ici on ne vous regarde pas de travers, personne ne vous domine.Les yeux éteints des vieux clients ne sont pas signe d'indifférence, ce sont des yeux au repos.Dans cette niche nauséabonde, personne ne juge, aucune médecin ne condamne, la famille n'entre pas, la société n'entre pas, parfois, la littérature, un peu."





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