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Critique de HundredDreams


Les albums jeunesse d'Alex Cousseau figurent en bonne place dans la bibliothèque de ma classe, ceux de « Charles », le petit dragon, « Les trois loups », ou encore dernièrement « Dans moi ».
Alors, lorsque la dernière masse critique a proposé des ouvrages de cet auteur, j'ai espéré secrètement être sélectionnée pour lire l'un d'entre eux. J'ai eu la chance d'être choisie pour lire ce roman jeunesse aux doux parfums iodés et j'en remercie toute l'équipe de Babelio, les éditions Rouergue et l'auteur.

En le découvrant dans ma boîte aux lettres, l'aspect visuel de sa couverture marine, avec ses contrastes de couleurs vives, m'a tout de suite séduite. C'est une entrée idéale dans l'univers du roman et le jeune lecteur est invité d'une jolie manière à se plonger dans un récit de voyage proche du conte, du roman d'aventures, de la quête identitaire ou du voyage initiatique.
Et même si ce livre est estampillé roman jeunesse, je dois dire que j'ai pris un réel plaisir à cette lecture superbement écrite qui puise dans l'Histoire du XIXe siècle. En effet, l'auteur s'empare d'une légende autour du trésor caché du pirate Olivier Levasseur et aborde le commerce triangulaire de telle façon que le merveilleux et l'aventure côtoient l'abject.

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L'histoire débute en 1831 sur la petite île de Nosy Boraha, dans les mers du Sud, alors qu'Antoine est encore dans le ventre de sa mère.
Ces premières pages sont magnifiques, tant sur le fond que sur la forme. C'est dans une langue délicate proche de la mélopée que s'élève la voix de la mère, douce, mélodieuse. Elle semble fredonner une longue berceuse à son enfant, et son chant cajole, enlace, éveille, réconforte son petit « kraken ». Elle l'effleure de mots tendres et apaisants, de rêves d'ailleurs et de chasse au trésor. Et l'enfant, dans sa première vie foetale, écoute sa mère lui raconter toutes les beautés d'un monde qui sera bientôt le sien.

Puis le ton se durcit, sa mère et son père ont été enlevés et embarqués sur un navire négrier anglais en partance pour Madagascar, puis l'Amérique. La voix de la mère se tend alors : esclave, le timbre de sa voix devient fort et mordant, n'hésitant pas à dévoiler à son enfant les conditions inhumaines dans lesquelles s'effectue la traversée de l'Atlantique.

« Ma mère voudrait savoir ce qui est pire, entre vivre sans vivre ou ne pas vivre. Elle teste sa capacité à supporter le pire, à me faire supporter ou éviter le pire. Je continue d'avoir envie d'exister, mais je sais aussi que, pour cela, il faut que tous les deux nous en ayons envie. Je supplie ma mère. J'insiste, j'essaie de combler le vide entre nous, je remue des bras et des jambes, je bascule, les battements de mon coeur s'accélèrent, je voudrais crier mais je n'ai encore jamais fait aucun bruit... »

Au terme de ce long et douloureux périple, avant que leurs chemins ne se séparent à jamais, elle lui passe autour du cou un mystérieux médaillon que les femmes de sa famille se transmettent depuis quatre générations. Ce bijou renferme un bout de parchemin censé révéler l'emplacement du trésor d'un de ses ancêtres, le célèbre pirate Olivier Levasseur dit La Buse.

A partir de là, l'auteur tisse, avec des mots aussi poétiques qu'émouvants, le parcours de cet enfant à la poursuite du trésor familial, et de manière plus cachée de son passé, de ses racines et de son histoire familiale.
C'est un récit instructif, émouvant et juste, empreint de doutes et d'espoirs qu'Alex Cousseau nous transmet.

« On entrepose la nourriture vivante sur le pont, et la nourriture morte tout au fond des cales, dans des tonneaux. La nuit, les esclaves ne sont ni morts ni vivants, ils dorment entre la nourriture morte et la nourriture vivante, dans l'entrepont. »

Un tour du monde comme une boucle pour revenir au point de départ, un destin ponctué par trois naissances, trois existences, trois changements d'identité, trois étapes importantes dans la vie d'Antoine Anarchasis.

« Parfois, je repense à cet objet que m'avait donné Docteur Blind. Ce sablier qui s'est brisé au fond de ma poche. Je revois le sable couler d'un récipient à l'autre. Se précipiter avant de basculer dans l'entonnoir inférieur. Avec le dernier grain de sable, c'est comme une vie qui s'achève. Mais il suffit de retourner le sablier, et tout recommence à zéro. »

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L'écriture de l'auteur est très fluide, agréable à lire, parfaitement adaptée pour évoquer des thèmes si sombres autour de l'identité, la quête de soi et la recherche de sens de la vie, mais ces thématiques très fortes en diffusent d'autres tout aussi fortes, à savoir, la liberté, la résistance, la révolte face à l'oppression, l'asservissement et à l'autorité, le lien de l'homme à la nature et aux animaux.

« Combien sommes-nous ici ? Peut-être trois cents, estime ma mère. Peut-être plus. Et elle m'explique que c'est impossible de compter tellement nous sommes nombreux. C'est aussi absurde que de vouloir compter les étoiles dans la nuit, ou les poissons au fond la mer. Et elle ajoute : sauf que la nuit et la mer sont des enclos infinis, que les étoiles et les poissons sont infiniment libres. »

Ce livre, empli de poésie et de beaux messages, est aussi une véritable ode à la littérature et à la lecture, tout en étant divertissant par ses nombreux rebondissements..

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Alex Cousseau est un formidable conteur, un « tricoteur » d'histoires. Les fils sont des mots et des pensées que l'auteur entrelace avec subtilité et poésie, composant une immense tapisserie d'un monde meurtri qui se divise : l'ancien et le nouveau monde, l'Afrique et l'Amérique, les hommes noirs et les hommes blancs, les esclaves et les maîtres.

« Dans mes rêves peuplés de couleurs et de lumières, l'Afrique et l'Amérique sont les lèvres inférieure et supérieure d'une même bouche. L'océan est le ventre à l'intérieur de cette bouche. Et je suis dedans, et j'attends. J'attends que les lèvres s'écartent pour me montrer. »

L'histoire de l'esclavage est un sujet sensible et complexe à aborder dans la littérature jeunesse, l'auteur le développe avec finesse et adresse, sans entrer dans trop de détails qui nuiraient à l'intrigue.
Avec une profonde intensité et une grande justesse, l'auteur nous conte les rêves et les espoirs, les souffrances et les larmes d'Antoine. Mais sa vie va le mener dans des directions inattendues, le faisant participer involontairement, à sa juste mesure, à la grande marche de l'Histoire.

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Le récit d'Antoine Anarchasis croise les destins de nombreux autres personnages. Des protagonistes, qui mêmes secondaires, sont tous parfaitement matérialisés et bien construits.
Ce sont aussi d'autres regards qui vont croiser le sien, autant de nuances et d'idées qui vont aider les jeunes lecteurs à réfléchir sur une des plus sombres pages de l'Histoire de l'humanité, à savoir le commerce des Noirs africains, l'esclavagisme.
Il est vain de ne pas être révoltée par la façon dont ont été traités tous ces hommes, ces femmes et ces enfants.

L'auteur a eu la bonne idée d'introduire à son récit des personnages réels, des cartes et des documents d'époque, une annexe présentant cinq personnages historiques qui ont joué un rôle dans la quête d'Antoine Anarchasis. Cela contribue à créer une atmosphère plus réaliste et à donner aux faits réels plus d'authenticité et de force.

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Pour conclure, le style immersif d'Alex Cousseau nous plonge dans le XIXe siècle, à la poursuite d'un fabuleux trésor qui nous tient en haleine jusqu'au bout. La fiction et le rêve rencontrent une réalité historique que les jeunes lecteurs découvriront grâce à un roman documenté, simple et nuancé.

A découvrir.
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