Elle a laissé dans mon univers une empreinte si légère que je n'ai même pas remarqué son départ
De même que la fièvre peut amplifier la sensation de froid, l'amour peut aviver la solitude
Quand il ne restera plus rien, je veux me souvenir de toi
A New York, on vous pardonne de discuter avec le vent, mais on s'inquiète quand on vous voit l'embrasser...
Tantôt je reste assis sur un banc plusieurs heures d'affilée. Tantôt je me promène. A chaque instant, j'observe. Les touristes et les habitués. Les gens qui sortent leur chien tous les jours à midi pile. Les bandes d'adolescents où chacun cherche bruyamment à attirer l'attention des autres. Les personnages âgées qui demeurent assises elles aussi, l'oeil aux aguets, comme si elles avaient tout leur temps alors qu'au fond elles savent qu'il n'en est rien. Tous, je les vois. J'entends leurs conversations, je suis le témoin de leurs ruminations intimes. Je ne prononce jamais une parole. Leur esprit est accaparé par les oiseaux, les écureuils, le vent.
Je n'existe pas. Et pourtant j'existe.
Je la regarde endormie dans son lit d'hôpital. Elle est couverte de bleus. Ses cheveux sont gras, plaqués. Elle a des cernes sous les yeux, des boutons sur le nez. Sa respiration est parfois saccadée. Un filet de bave glisse de sa bouche.
Je ne l'ai jamais autant aimée.
Mes pensées sont libres d’aller se poser sur elle, et sur elle seule. Mais si elles vont trop loin, mon corps, réduits à ses seuls mécanismes, devient incapable de toucher, de saisir, de se tenir debout. Je dois apprendre à être conscient d’elle et conscient de moi en même temps.
Je baisse les yeux vers mon chemisier car la dernière fois qu'un garçon m'a regardée aussi longuement, j'avais malencontreusement fait sauter trois boutons en déplaçant des cartons empilés par maman dans le séjour, ce dont mes seins avaient profité pour faire un coucou à tout le monde sans la moindre pudeur.
Or là, mon chemisier est intact et l'hypothèse voyeuriste est donc à écarter.
Je présume que ce garçon a eu ses seize ans en version " normale", comme tous ses congénères, tandis que moi, je les ai eus avec la mention "mal barrée".
Trop de paroles. Trop de débit. Trop de fièvre. Mon âme de verre vient de tomber par terre et de se fracasser en mille mots. Le garçon invisible devient visible, et tout à coup, ses émotions brillent comme des néons.