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Critique de Godefroid


A peine arrivé au milieu de la 2e page, je suis obligé de refermer le bouquin. Il ne s'est rien passé. C'est juste un noir nommé Willalee Bookatee qui guette de sa cellule l'arrivée d'une voiture. C'est juste quelques phrases toutes simples sur Enigma, un trou-du-cul-du-monde comme il en existe tant en Géorgie ou ailleurs, un ploucville acculé au néant, survivant grâce à un unique cordon ombilical de bitume que l'on suppose branché à la civilisation, quelque part au loin. Mais voilà, submergé par une émotion mystérieuse, j'arrête tout et je me demande : la dernière fois que j'ai lu un Harry Crews, c'était quand ? Et puis je me dis que depuis tout ce temps je n'ai rien lu qui s'apparente de près ou de loin à du Harry Crews. Et puis enfin je me retrouve habité par cette évidence que j'avais oubliée : ce type est vraiment unique.

Le chanteur de gospel, jeune homme blanc à la voix d'or, est né à Enigma. le chanteur de gospel (que personne n'appelle plus par son nom) rentre à Enigma environ deux fois par an pour revoir sa famille – dont tous les membres sont plus ou moins tarés, ainsi que la splendide Marybell avec qui il entretient une étrange idylle en pointillés. L'histoire démarre donc dans une cellule de la prison d'Enigma, occupée par un noir accusé du meurtre de la blonde et pure Marybell : de sa cellule, il scrute la seule route reliant Enigma au reste du monde, tout son espoir résidant maintenant dans l'arrivée de la Cadillac du chanteur de Gospel. Car tout le monde à Enigma sait que sa visite est imminente.

Mon introduction n'était peut-être pas suffisamment explicite, je vais donc mettre les points sur les i : ce premier roman (publié) de Harry Crews est du même niveau que ceux qui vont suivre. Ne cherchez pas un défaut de jeunesse, des longueurs, maladresses, incohérences ou je ne sais quelle autre marque d'immaturité. Harry Crews débarque en 1968 avec sa cohorte de miséreux, les plus normaux en apparence étant les plus déviants à l'intérieur. le Chanteur de gospel est un roman terrible, comme tous les romans de Crews. D'une humanité renversante, combinant une morale édifiante à une imparable logique. Piégé dans un rôle de Messie qui l'effraye de plus en plus, le chanteur de gospel se dirige tout droit vers un destin qui n'offre aucune alternative. Ce n'est pas un mauvais bougre dans le fond, mais après avoir suivi la pente la plus facile, celle qui l'a mené au succès et à une illusoire omnipotence, après avoir sali petit à petit, sans réaliser vraiment, ce que l'être humain a de plus beau en lui, l'irréparable se produit, comme une fatalité.

On ne referme pas le chanteur de gospel complètement assommé parce que tout ce qui arrive à la fin est presque naturel, sans grande surprise, conforme au châtiment divin. Mais tous ces personnages, on les emporte avec soi. Peut-être vous suivront-ils longtemps, sans pourtant vous hanter ; peut-être, un instant, vous rendront-ils meilleur.

Traduction formidable de Nicolas Richard.
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