Citations sur La mort d'Agrippine (9)
Périsse l'Univers, pourvu que je me venge !
LIVILLA.
Tu te trompes encor, nous partirons ensemble !
La Parque au lieu de rompre allongera nos fers ;
Je t'accompagnerai jusques dans les Enfers ;
C'est dans cette demeure à la pitié cachée
Que mon Ombre sans cesse à ton Ombre attachée,
De son vol éternel fatiguera tes yeux,
Et se rencontrera pour ta peine en tous lieux ;
Nous partirons ensemble, et d'une égale course
Mon sang avec le tien ne fera qu'une source
Dont les ruisseaux de feu, par un reflux commun
Pêle-mêle assemblés et confondus en un,
Se joindront chez les morts d'une ardeur si commune,
Que la Parque y prendra nos deux âmes pour une.
Et puis mourir n'est rien, c'est achever de naître !
TÉRENTIUS.
Respecte et crains des Dieux l'effroyable tonnerre !
SÉJANUS.
Il ne tombe jamais en hiver sur la terre :
J'ai six mois pour le moins à me moquer des Dieux,
Ensuite je ferai ma paix avec les Cieux.
TÉRENTIUS.
Ces Dieux renverseront tout ce que tu proposes.
SÉJANUS.
Un peu d'encens brûlé rajuste bien des choses.
TÉRENTIUS.
Qui les craint, ne craint rien.
SÉJANUS.
Ces enfants de l'effroi,
Ces beaux riens qu'on adore, et sans savoir pourquoi,
Ces altérés du sang des bêtes qu'on assomme,
Ces Dieux que l'homme a faits, et qui n'ont point fait l'homme,
Des plus fermes États ce fantasque soutien,
Va, va, Térentius, qui les craint, ne craint rien.
SÉJANUS.
Mon sang n'est point royal, mais l'héritier d'un Roi
Porte-t-il un visage autrement fait que moi ?
Encor qu'un toit de chaume eût couvert ma naissance
Et qu'un palais de marbre eût logé son enfance,
Qu'il fût né d'un grand Roi, moi d'un simple pasteur,
Son sang auprès du mien est-il d'autre couleur ?
Agrippine:
Une brûlante fièvre allume ses entrailles ;
Il contemple vivant ses propres funérailles.
Ses artères enflés d'un sang noir et pourri,
Regorgent du poison dont son coeur est nourri :
À qui le considère, il semble que ses veines
D'une liqueur de feu sont les chaudes fontaines,
Des serpents enlacés qui rampent sur son corps
Ou des chemins voûtés qui mènent chez les morts ;
La Terre en trembla même, afin que l'on pût dire
Que sa fièvre causait des frissons à l'Empire.
Mais as-tu de la mort contemplé le visage ?
Conçois-tu bien l'horreur de cet affreux passage ?
Connais-tu le désordre où tombent leurs accords,
Quand l'âme se déprend des attaches du corps ?
L'image du tombeau qui nous tient compagnie,
Qui trouble de nos sens la paisible harmonie,
Et ces derniers sanglots dont avec tant de bruit
La Nature épouvante une âme qui s'enfuit ?
Voilà de ton destin le terme épouvantable.
LIVILLA La Discorde, allumant son tragique flambeau,
Vous consacre, Madame, un spectacle assez beau,
Et je viens comme soeur prendre part à la joie
Que, lassé de vos maux, le Destin vous envoie.
Le peuple, soulevé par un exploit si grand,
Vous tient comme en ses bras à couvert du tyran,
Et ce transport subit, aveugle et plein de zèle,
Témoigne que les Dieux sont de votre querelle.
Agrippine
Germanicus y fit ce qu'un dieu pouvait faire, et Mars le suivant crut être téméraire. Ayant fait du Germain la sanglante moisson, il prit leurs autels leurs dieux même à rançon, afin qu'on sut un jour par des exploits si braves, qu'un Romain dans le ciel peut avoir des esclaves.