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Critique de Tachan


Tachan
03 septembre 2022
Il y a des couvertures et des sujets qui interpellent, c'est le cas de Blossom avec son illustration montrant dos à dos une fille et un garçon à travers un miroir pour parler de l'intersexualité, un sujet si rarement évoqué et pourtant tellement important. Merci à Nazca, de nous permettre de découvrir cette petite bulle d'âpre douceur.


Blossom est le premier titre en version reliée que son autrice D.S. a eu la chance de pouvoir publier à Taïwan, mais comme elle le dit en postface, il y a déjà eu quelques bandes dessinées asiatiques qui ont eu la riche idée d'en parler mais fort peu. C'est donc une belle idée de son part de profiter du vote d'un texte à Taïwan légalisant le mariage pour tous en 2019 pour en parler.

L'autrice nous fait ainsi pénétrer dans la vie d'une famille taïwanaise qui a l'air lambda : une grand-mère, une mère, deux filles et un père souvent absent à cause de son travail, qui vivent dans un appartement au coeur de la ville. Il y a beaucoup de tension au sein de cette famille et c'est au cours du cheminement personnel de la plus jeune des deux soeurs qui nous allons découvrir tout cela.

J'ai beaucoup aimé ce cadre taïwanais que je découvrais et qui changeait de mes lectures habituelles. On retrouve une cellule familiale assez proche de ce qu'on peut trouver dans les autres pays asiatiques, avec une mère à qui on confie bien trop souvent la responsabilité de l'éducation et de l'instruction des enfants, mais également la gestion des personnes qui générations précédentes quand elles sont là, ce qui lui met beaucoup de pression, ce dont l'autrice parle ici avec force et subtilité. Car au-delà de la question du genre qui travaille beaucoup l'héroïne, j'ai aussi vu une interrogation puissante et fondamentale sur la place de la femme dans cette société très patriarcale.

En suivant l'héroïne, Yu-Fan, de son enfance aux débuts de sa vie d'adulte, on la voit passer par plein de rôles et on la voit confronter aux hommes et à la société à plein d'occasions à chaque étape de sa vie. L'autrice dénonce ainsi cette société qui laisse toute liberté aux hommes mais que des carcans aux femmes, jusque dans leur corps et leurs vêtements. L'autrice dénonce le comportement dominant de certains hommes qui se sentent libre d'harceler les femmes, tandis que celles-ci vont jusqu'à se sentir coupable, alors qu'elles sont les victimes de l'histoire. C'est puissant. Puis, il y a encore plus tard ce regard de la société qui empêche certaines de s'affirmer différentes, soit parce qu'elles ne rentrent pas dans la case de ce qu'on attend de quelqu'un genré au féminin, soit parce qu'elles ne se sentent pas femme, ou bien parce qu'elles aiment les femmes, ce qui est encore très mal vu.

L'autrice aborde tous ces sujets avec beaucoup de finesse et de doigté mais en sachant appuyer là où ça fait mal. Son écriture est puissante, pleine d'émotions à fleur de peau, pleine de sensibilité aussi. Elle dénonce mais elle réconforte également. Elle aide son héroïne à avancer dans son cheminement non pas en lui fermant des portes, mais en lui en ouvrant, ce qui n'a rien de simple et a tout d'un combat au quotidien. J'ai beaucoup aimé sa justesse dans la description complexe de celui-ci, que ce soit pour les problèmes de genre de Yu-Fan ou de place de la femme de sa mère. Mon coeur a saigné pour les deux.

Après, j'ai peut-être eu le sentiment qu'on survolé un peu trop la révélation quant au genre de naissance de Yu-Fan et les conséquences de tels cas, puis de tels choix de la famille. J'aurais aimé qu'on approfondisse plus le sujet car il m'intéressait vraiment et sortait de ce qu'on a l'habitude de voir. J'ai aussi eu parfois un goût de trop peu face au cheminement de Yu-Fan que l'autrice laisse en suspens. Mais en même temps, elle a joliment fait le tour de cette histoire des femmes de la famille et a ouvert des horizons nouveaux à chacun d'entre elles, ce qui était, je pense, le but ici.

Malheureusement, l'édition de Nazca n'a pas tout le temps était à la hauteur de ce jolie texte et de cette émouvante histoire. J'ai trouvé, malgré la belle jaquette, malgré le bandeau accrocheur, malgré les pages couleurs, un petit côté amateur dans l'objet qu'on a en main. D'entrée la maquette et le lettrage font amateur, notamment avec le choix d'une police que tout le monde connaît et qui convient peu, ou encore avec une mise en page beaucoup trop serrée dans les pages explicatives bonus pourtant fort intéressantes. C'est dommage, ça gâche un peu le plaisir et j'espère que cela sera corrigé dans les prochains ouvrages de l'éditeur...

Blossom comme son nom l'indique fut l'histoire d'une belle éclosion, celle des femmes d'une cellule familiale taïwanaise traditionnelle, qui vont apprendre à lutter pour leurs droits à être elles-mêmes. Avec douceur, finesse et poésie, mais aussi douleur parfois, D.S. m'a charmée en contant l'histoire de Yu-Fan qui cherche à comprendre et aimer son corps. Elle m'a aussi déchirée le coeur avec celle de sa mère, cette femme enfermée dans une société patriarcale traditionnelle. Ce fut donc un récit à la fois puissant et émouvant mais surtout plein d'espoir où une autrice utilise intelligemment un fait de société pour tenter d'ouvrir les esprits. Elle mérite son prix aux Japan International Manga Award.
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
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