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Critique de pompimpon


Liza Dalby nous propose une évocation de la vie de Murasaki Shikibu, née vers 973 et décédée entre 1014 et 1025, qui a écrit l'un des monuments de la littérature mondiale, considéré comme le premier "roman psychologique" de l'histoire, je veux parler du Dit du Genji.

On sait peu de choses de la dame de cour, pas même son nom, connue sous ce sobriquet de Murasaki Shikibu ; Murasaki, qui signifie "violet, pourpre", lui est donné au moment de son entrée au service d'une des impératrices-douairières, d'après l'un des personnages qu'elle a créés dans son roman ; le terme Shikibu fait référence au statut de son père à la cour.

On la sait orpheline de mère très tôt, ayant une relation privilégiée avec son père qui l'incite à étudier le chinois et la poésie chinoise, et dont elle tient la maison quelques années.

Pour autant, Liza Dalby ne laisse pas vagabonder une folle imagination dans les espaces inconnus de cette vie et de cette inspiration qui a donné naissance au Prince Genji. Au contraire.
Elle s'appuie sur les écrits de Murasaki Shikibu parvenus jusqu'à nous, son journal, ses poèmes et ce Dit du Genji aux quelques 2000 pages et cinquante-quatre chapitres jalonnés de 800 poèmes (un monument, vous dis-je !).

Ce faisant, elle nous plonge dans ce qui fait le quotidien d'une jeune fille au XIe siècle à Heian-kyo (future Kyoto), puis aux confins de l'empire nippon lorsque son père y est nommé gouverneur.
Au retour de la famille dans la capitale, elle accepte d'épouser Nobutaka Fujiwara qui la laisse veuve quelques années plus tard.
Et c'est là qu'elle est appelée à la cour, contrairement à la coutume consistant à faire entrer très jeunes les dames d'honneur au service des membres du clan impérial, et qu'elle se voit contrainte de laisser sa petite fille à la garde de sa famille.

Liza Dalby ne néglige pas la formation littéraire de Murasaki, ni la façon dont le Prince Genji entre dans sa vie ainsi que l'élaboration des différentes aventures du Prince Radieux au fil du temps.

Cette évocation a des accents d'une grande crédibilité. C'est une plongée dans un raffinement qui nous était inconnu en Occident à la même époque.

L'art des jardins et d'un paysage où tout est dû à la main de l'homme mais où cela ne doit absolument pas se sentir occupe davantage même que l'aménagement des demeures.
La correspondance avec les proches et l'envoi de fleurs ou d'aliments accompagnés de poèmes sont essentiels.
La vie à la cour est ponctuée par les incendies fréquents des différents palais, les emménagements et deménagements des impératrices et concubines selon leur état (maladie, grossesse) ou leur disgrâce, la vie de cour traversée de jalousies et bruissant de commérages, une foule de cérémonies occupant une grande part du calendrier...

Ça aurait pu être un brin rasoir, eh bien pas du tout !

Toute la délicatesse d'une branche de prunier en fleurs, la beauté d'une pièce d'eau sur laquelle tombent les feuilles dorées des gingkos dans un coup de vent, la pleine lune éclairant le jardin comme en plein jour, l'assortiment des couleurs des kimonos des dames superposés dont on ne voit que les cols, les manches, et le bas des kimonos qu'elles laissent dépasser sous leur paravent, la légèreté d'un poème, la spiritualité d'une réponse, les liens noués, dénoués, renoués, la quête perpétuelle d'une perfection esthétique jusque dans le plus petit détail, la recherche de l'harmonie entre l'être et son environnement, une beauté formelle qui doit présider à chaque apparition de l'impératrice douairière et de son entourage… tout contribue à une immersion dans ce lointain XIe siècle nippon.

Diplômée de Stanford, anthropologue spécialisée dans la culture du Japon à laquelle elle s'est intéressée dès son adolescence avec la lecture du Dit du Genji, Liza Dalby met sa profonde connaissance de son sujet de prédilection au service d'un bel ouvrage, subtil, intelligent et formant une bonne introduction à l'oeuvre majeure de Murasaki Shikibu.

Je laissais traîner l'idée d'une relecture du Dit du Genji, que j'avais beaucoup aimé mais avec un certain sentiment d'étrangeté : les émotions qui agitent les personnages et leurs relations sont intemporels ; les coutumes, la forme, la multitude de personnages, en revanche, peuvent désarçonner.
Je vais maintenant mettre ce projet de relecture en oeuvre avec bien des clés qui me manquaient la première fois, qu'il est possible de compléter avec le passionnant Femmes et Samouraï de Hidéko Fukumoto et Catherine Pigeaire (Éditions des femmes) dont la première partie est consacrée à Murasaki Shikibu et à une autre femme de lettres de la même époque, Sei Shonâgon.

Il existe également un ouvrage d'introduction édité par Diane de Selliers, intitulé À la découverte du Dit du Genji, réalisé par Aude Jacquet, Marion Balalud de Saint Jean, Aglaë de la Grenardière, Akane Nishii, Letizia Rossi di Montelera et Agnès de Gorter, sous la direction de Joséphine Barbereau et d'Aline Lambilliotte, qui a pour ambition de permettre aux lecteurs français de s'y retrouver, mais dont je ne parlerai pas davantage tant que je ne l'aurai pas lu (ce qui ne saurait tarder…).
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