J'ai lu quelque part que l'utopie de quelqu'un est toujours la dystopie de quelqu'un d'autre.
C'est ce qui est curieux quand on vit en enfer : tout le reste a le goût du salut.
J'ai l'impression d'être Eve face à sa pomme, Pandore devant sa boîte, ou la femme de Loth qui jette un dernier regard en arrière.
Voulez-vous la manger?
Voulez-vous l'ouvrir?
Voulez-vous regarder?
O/N ?
Elles ont toutes les trois répondu "oui", ces idiotes, apportant le péché dans le monde, répandant le mal dans l'humanité, se transformant en statue de sel. Il fallait qu'elles sachent, qu'elles découvrent la vérité.
Si je pouvais étendre la portée de mon ouïe, il y a encore d'autres choses que je n'entendrais pas. Je n'entendrais pas " je croyais que tu en avais envie". Je n'entendrais pas de voitures avec seulement des hommes derrière le volant, ou des cris de jeunes filles qu'on excise. Je n'entendrais pas que le témoignage d'une femme ne vaut que la moitié de celui d'un homme, ou les vœux forcés d'une jeune fille forcée d'épouser son violeur. Je n'entendrais que le silence. Et dans ce silence, j'entendrais la paix.
Elles sont heureuses, ici.
Mais je peux m'imaginer avoir peur. Chaque fois que j'ai couru un 10 kilomètres et que j'ai vu passer des jambes dotées de muscles que je n'aurais jamais, chaque fois que je suis allée à la salle de sport, où un homme deux fois ma taille tractait tout le poids de son corps à la seule force des bras, chaque fois que j'ai fait une randonnée épuisante dans les montagnes à l'étranger et que Nick me prenait la main pour me tirer avec une force qui semblait inépuisable, j'ai parfois imaginé des jambes, des bras et des mains moins bienveillants, et pensé à ce qu'ils pourraient me faire s'ils avaient eu la volonté de me nuire.