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Critique de HordeDuContrevent


Sur une île déserte, ce serait sans hésitation le premier livre que je prendrais. Il s'agit de ma troisième lecture de « La Horde du Contrevent » et toujours des choses m'apparaissent, m'émerveillent, des détails auxquels je n'avais pas prêté attention surgissent, une compréhension plus approfondie de certains concepts émerge. Ce livre m'imprègne et m'enlace avec une chaleur qui est de celles qui forgent une mémoire et l'habitent. Je suis rassurée : je ne suis pas prête à changer de pseudo !

Sur mon île déserte, « La Horde du Contrevent » serait une lecture salvatrice.
Une épopée pleine de rebondissements, d'évènements inattendus, étonnants et inexplorés, pour me divertir, me passionner ; une flanquée de personnages superbement croqués au point de se sentir familière avec chacun d'entre eux, un collectif soudé qui me permettraient de me sentir moins seule ; une écriture poétique qui viendrait nourrir mon âme ; des messages philosophiques qui enrichirait mon esprit et me rendrait plus forte. Un univers onirique, des paysages d'une telle diversité, d'une réelle beauté, qui m'enchanteraient, paysages souvent rudes et sauvages, depuis les déserts de sable jaunes, les vallées encaissées, en passant par d'interminables marécages gris, des landes vertes aux nuages violets sur lesquels le soleil perçant ouvre des flaques jaunes, jusqu'aux abrupts glaciers volcaniques…sur mon île au paysage figé, je pourrais ainsi voyager !
Et surtout ce livre me permettrait de résister, de lutter, de me donner du courage. de relativiser la chaleur ressentie, le froid nocturne, l'humidité et bien entendu le vent toujours présent sur une île…un vent fort deviendrait à mes yeux une simple brise. Je tenterais sans doute de déchiffrer le vent, de l'écrire sur le sable, d'écouter sa musique…Peut-être même ferais-je le tour de l'île pour tenter de vivre l'épopée de la Horde, pour sentir, ressentir au plus profond de moi ces concepts de temps, d'espace, de vitesse, de sens avec lesquels Alain Damasio jongle, entrelacement de concepts appréhendés avec mystère et brio dans le roman à travers les chrones. Sortes de nuages, ceux-ci peuvent agir sur l'écoulement du temps, ou alors opérer des métamorphoses sur l'environnement qu'ils traversent, ou enfin se nourrir d'un type particulier de sentiments humains comme la peur, l'amour, la joue, etc…(Dont le fameux véramorphe au pouvoir unique : il donne aux êtres ou aux objets qu'il enveloppe la forme véridique de ce qu'ils sont). Il y aurait matière à réflexion et à rêve sans aucun doute, je ne m'ennuierai jamais, le relire ferait sans cesse éclore de nouvelles compréhensions…
Oui, un livre vraiment idéal, sur mon île déserte, dans la solitude totale où il me faudra créer le sens de ma vie. Pas seulement devoir survivre ou vouloir vivre mais oui créer un nouveau sens à la vie.

« Je découvris une nouvelle intensité – celle que la conscience effilée d'être accoudé chaque jour au parapet branlant de la mort donne. J'étais à nouveau émerveillable ».

Imaginez un monde plat dans lequel souffle, sans cesse, le vent qui peut prendre des formes différentes. Depuis la simple zéfirine, la « plus douce des gifles de prime aurore », en passant par le slamino, le schoun, la stèche, le crivetz, jusqu'au redouble Furvent. Vent chaud, vent doux, vent froid, vent humide, vent violent pour parler plus clairement…La plupart des gens vivent en s'abritant (les « abrités »). La Horde du contrevent, c'est l'histoire de la 34ème horde. Chacun des 23 personnages prend la parole (chacun a un sigle caractéristique quand il apparait, et une façon de parler qui lui est propre) mais cette aventure est racontée par le Scribe, Sov. La Horde est organisée un peu comme une troupe militaire : elle est structurée d'une certaine façon (Le Fer, le Pack et les Crocs), hiérarchisée et suit une stratégie alimentée de différentes tactiques. Chacun de ces personnages a une fonction précise et a reçu, pour être hordonné, une formation stricte et rigoureuse dès la plus tendre enfance. A chaque poste ce sont les meilleurs dans leur catégorie qui ont été choisis. le but de la Horde ? Remonter, à pied, vers l'Extrême-Amont pour trouver la source du vent, oui boire le vent à sa source, éventuellement la colmater, et aussi connaître les trois dernières des neuf formes de vent.
Partis de l'Extrême-Aval, à Aberlass, à l'âge de 11 ans seulement, les membres de la Horde remontent contre le vent (on dit que la Horde contre), et s'orientent vers ce mystérieux Extrême-Amont qu'aucune des hordes précédentes n'a réussi à atteindre tant la fin du périple est extrême. Depuis près de 30 ans ils sont en quête.

Cette lecture est un moment rare, étonnant et plein de rebondissements et souvent de grâce, ne serait-ce que par la diversité des personnages qui la compose comme notamment Caracole, le troubadour, toujours à la recherche du bon mot, de la jolie phrase, des blagues déclamées même en plein danger, de l'histoire à raconter : « ses histoires qui sont comme des appels d'air dans un buron, ses contes qui seuls nous trompettent qu'un autre monde est possible, où la fête existe, où l'amour soulève le quotidien » ; Oroshi, la belle et élégante aéromaitre, intelligente, rigoureuse, sérieuse ; Sov, le Scribe, à la fois pédagogue, sensible et poétique, Golgoth, chef de la horde, instinctif, rustre, grossier, courageux ; et tous les autres. Notons que les femmes, mis à part Oroshi, ont des fonctions dédiées aux femmes dans les sociétés classiquement patriarcales : soin, cuisine, recherche de nourriture, d'eau et de feu. La femme dans la Horde est celle qui prend soin et qui soulage. Notamment un Golgoth a priori profondément mysogine.

Un moment étonnant de par la diversité de son vocabulaire et de son univers aussi : Alain Damasio a le génie de nous proposer un glossaire inventé, fait de mots nouveaux ou de mots mélangés, prince des mots tordus, qu'on ne pense pas comprendre de prime abord, qui ne gêne pourtant pas la compréhension globale de l'histoire puis qui vient s'éclairer naturellement peu à peu. Comme si nous apprenions une nouvelle langue en étant plongé dans un nouveau pays. Vous croiserez ainsi des gorces, animaux dont on utilise la carapace pour en faire des tenues pour la Horde (des tenues donc en « peau de gorce »…l'humour de Damasio n'est jamais loin), des chrones, des boos, des muages, des aérologues, des airpailleurs, des aerudits…

Etonnement et inventivité par l'intensité et la variété des combats menés, bien entendu contre les différentes formes du vent, en un effort collectif remarquable d'inventivité, de prouesse et de courage ; mais également contre les étonnants chrones, dont on comprend vraiment peu à peu ce qu'ils sont ; combat contre certains adversaires qui veulent entraver la quête de la Horde (les intrigues politiques sont subtilement présentes ainsi que les problématiques sociétales et existentielles de ce monde). Sans oublier la délicieuse et croustillante joute verbale, combat de rhétorique, inoubliable pour ma part, entre le troubadour Caracole et Silème dans la ville d'Alticcio.
Quant au combat final pour atteindre l'Extrême-Amont, j'ai beau à présent connaitre la fin, quand s'approche la page 0 (car la pagination est à l'envers), je suis à chaque fois soufflée…

Par la diversité et la beauté des paysages et des villes traversés, par la féérie du monde imaginé par Alain Damasio cette lecture est également précieuse. On pense parfois à Mad Max, le Te Jekka, maître foudre de la Horde, fait irrésistiblement écho au maître Jeddi de Star Wars. La ville d'Alticcio fait penser une fraction de seconde au 5ème élément de Luc Besson avec le bas peuple au niveau du sol (les « racleurs ») et la bourgeoisie dans les airs, et ses divers moyens de locomotion qui s'entrecroisent dans les airs (Barcarolles longues et fines, toutes ailes rétractées ; ballons passifs à air chaud ; ballairs dirigeables ; vélivélos ; planeurs ; parapentes de poche ; éolicoptères).

L'osmose réussie de la science-fiction, de la philosophie et de la poésie est ce qui caractérise le plus ce livre.

«Nous n'avons jamais eu de parents : c'est le vent qui nous a faits. Nous sommes apparus doucement au milieu de la friche armée des hauts plateaux, à grandes truellées de terre voltigée pris dans nos ossements, par l'accumulation des copeaux de fleurs, dit-on aussi, sur cette surface qui allait devenir notre peau. de cette terre sont faits nos yeux et de coquelicots nos lèvres, nos chevelures se teintent de l'orge cueilli tête nue et des graminées attirées par nos fronts. Si vous touchez les seins d'Oroshi, vous sentez qu'ils sortent du choc des fruits sur son torse, et mûrissent toute une vie. Ainsi en est-il des animaux et des arbres, de tout ce qui est : seuls naissent vraiment les squelettes, seuls ont une chance ceux qui se dressent au-dessus de leur paquet d'os et de bois, en quête d'une chair, en quête d'une écorce et d'un cuir, de leur pulpe, en quête d'une matière qui puisse, en les traversant, les remplir ».

Sans être menée par le bout du vent, sur mon île déserte ouverte à vau vent, lavée à grande eau de bourrasques humides, je pourrai survivre avec de nombreux principes glanés dans ce livre : « La monotonie n'existe pas. Elle n'est qu'un symptôme de la fatigue. le divers, n'importe qui peut le rencontrer à chacun de ses pas, pour peu qu'il en ait la force et l'acuité » ou « Orpailler et retenir en soi. Se constituer un monde du dedans. Une mémoire ». Et espérer…Espérer grande vie et vent doux. La Horde du contrevent, mon manuel de survie. Une nourriture spirituelle, onirique et poétique fait livre.

Comme à chaque relecture de ce livre, je vais laisser les pensées d'Alain Damasio s'enfoncer dans ma chair, y creuser des ouvertures profondes, et féconder un terreau en moi essentiel, pour une floraison longue et exigeante. Ce livre, c'est comme « la sensation d'avoir en permanence en main, et comme à disposition d'âme, une arme de jet apte à refendre sans cesse mon crâne – ce cube d'os si prompt, sinon, à se clore ». Peut-être, alors, trouverais-je enfin un jour mon vif, ma puissance la plus strictement individuelle qui tient du néphèsh, ce vent vital qui circule en moi, qui me fait ce que je suis. La quête à contrevent de tout un chacun…

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