Protégez notre source passait avant tout, vous vous en doutez, mais dès l’instant où elle n'avait plus besoin, et pour cause, d'être protégée…
— Et alors, l'agent qui prétendait être en relation avec Fischer? Agent «double», par conséquent…
C'est bien comme cela que vous dites, n'est-ce pas ?
Une expression amusée défendit les traits de Jeanson :
- Oui c’est possible
Eh bien, le parcours de cet agent débutait par des fréquentations laissant à désirer, celle, en particulier, pendant la guerre, d'un réseau communiste qui le conduirait à son interpellation par la Gestapo et à son incarcération, durant plusieurs mois, en 1943, à la maison d'arrêt de Fresnes. Deux ans plus tard, à la chute de Berlin, les archives allemandes tombaient aux mains des Soviétiques, lesquels en tireraient des fiches concernant les activités sous l’Occupation de personnalités françaises en vue, ainsi que de personnes étant passées, de près ou de loin, pour une raison ou pour une autre, dans la ligne de mire des Allemands : résistants, antifascistes, communistes... Il se trouvait que certaines d'entre elles seraient engagées par la D. S.T. après la Libération, ce qui, dans le cas des communistes ou sympathisants, ne manquerait pas, il allait sans dire, d'être «embêtant». (Au cours de ces années-là, les enquêtes préalables au recrutement étaient sommaires, une simple formalité, «trois questionnaires noircis à la hâte sur un coin de table», et puis tout baignait alors dans une telle confusion: qui était qui, véritablement, qui avait fait quoi sous l'occupant...)
—Les Russes finissent bien entendu par pointer le bout de leur nez, le menacent de tout déballer, etc., et voilà notre agent solidement ferré, qui se retourne sans faire trop d'histoires.
C'était là une hypothèse, car ses motivations étaient peut-être tout autres : idéologiques, financières, personnelles, les trois à la fois... Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, l'oiseau s'était envolé.
- Ce qui nous pose un problème, évidemment, mais en pose aussi un à nos camarades slaves, parce que non seulement ils ont perdu pour partie leurs yeux et leurs oreilles chez nous, mais, ce qu’ils n’aiment guère non plus, ils savent dans la nature, depuis quelques années, quelque part, quelqu'un connaissant quelque chose sur eux : leur fonctionnement, leurs méthodes, leur niveau de connaissances sur certains sujets. Ils sont furieux, semblerait-il, et le jour où ils lui mettront le grappin dessus, nos camarades slaves...
Dehors, il s'était remis à neiger et de gros flocons s'agglutinaient autour du lampadaire, papillons blancs attirés par la lumière.
Solange revenait vers eux. Elle s'avançait avec précaution, dans la pénombre en regardant où elle posait le pied. Rejetant une mèche de cheveux derrière son oreille, elle s'aperçut qu'elle avait perdu une des épingles qui les retenaient; celle ci avait du tomber tout à l'heure sur le canapé de la bibliothèque. Quand elle passa devant le cadre bleu de l'aquarium des napoléons, celle cise découpa en ombre chinoise
Solange planta son regard dans le sien, l'y laissa de longs instants, sans rien dire - le regard perdu, fatigué, à bout, du naufragé que l'on vient de hisser hors de l'eau, se dit-il.
Un rai de soleil sautait de branche en branche, dans le pommier, avant de s'arrêter net au bord de la table métallique verte où ils étaient assis.
Elle s'exprimait toujours de cette voix tellement basse et douce qu'à l'extérieur, dans le bruit ambiant, on la comprenait à peine.
D'autres nuits, je le sais, il y aura d'autres nuits. Il est différents, ou alors c'est moi qui, avec lui, suis différentes. Dans ses bras, j'oublie. Dans ses yeux, je ne pense plus à la peur, plus à la honte. Son corps est mon grand voyage, son visage mon horizon, ses doigts mes barreaux de ma prison merveilleuse.
Elle le regarda qui s'éloignait en direction de l'Alvis. Les rayons du soleil, rasants, allongeaient son ombre, laquelle épousait les accidents de l'allée, montait aux arbres, redescendait, empiétait sur la rive glacée, poursuivait sur l'eau.
D'ailleurs, si je n'étais pas timide, je vous inviterais à venir prendre un deuxième café.
- D'ailleurs, si j'étais timide, je déclinerais.