AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de SZRAMOWO


Sur l'un des rabats de la couverture, Pierre-Michel Pranville, directeur de collection aux éditions Envolume, s'interroge à propos de Palikao79 : est-ce un polar historique, un polar nostalgique ?
Après l'avoir lu, je dirai, à la lumière de la citation de Schopenhauer que Joël le rapin, un artiste-peintre, assène à Fourrier, que c'est un polar réparateur.
«Chacun aime ce qui lui fait défaut»
C'est le sens de la démarche de Dario, déjà dans la valise et le cercueil, puis aujourd'hui dans Palikao79, faire revivre des mondes qui n'existent plus.
On ne peut que souligner le talent de l'auteur dans la reconstitution minutieuse de l'atmosphère des années 1979-1980.
Lors de sa séance de dédicaces au Salon l'autre Livre, le 17 novembre, Dario a livré quelques unes de ses méthodes de travail, notamment son immersion dans la période sur laquelle il écrit, via le visionnage de films, de documentaires, d'actualités ou la lecture de romans de la période considéré.
«J'ai vécu pendant deux années en 1979-1980» dit-il.

Reconstitutions qui font le régal de ceux qui ont vécu ces époques. J'en suis. Et qui permettent aux plus jeunes de découvrir des événements et de sentir une odeur du temps qui ne leur seront jamais aussi bien servis.
Sans forfanterie ni exagération, les nombreuses références subtilement glissées dans le récit lui donne son corps, sa réalité, sa véracité.

Pour les choses de la vie, savon Fa, chewing-gum Chicklet, voitures Innocenti, Pacer, 504, R16 et R18, Gitanes et Zippo, Pall Mall sans filtre, Walkman Sony - j'ai acheté le mien en avril 1980 avec ma première véritable paye -
L'évocation de Lambert, un pompiste de nuit ex-flic, comme dans Tchao Pantin, collègue du commissaire Fourrier, est une évocation juste, pleine d'émotion et de respect de la façon dont Coluche a joué au cinéma le rôle de ce personnage de JP Manchette. On voit même à un moment du récit se profiler la silhouette de Richard Anconina courbée sur sa mob sous la pluie.

L'époque est caractérisée par ses outrances politiques, la chasse aux gauchistes, la Gauche Prolétarienne, Action Directe, les Brigades rouges, l'IRA, l'engouement pour la cause Palestinienne et la lutte contre la dictature en Argentine, les titres du journal ROUGE : «On fusille nos frères !», le retour des anciens de l'OAS sous Giscard, l'empathie dont bénéficient Jacques Mesrine et Spaggiari dans l'opinion.

Côté atmosphère, les bars le Sportif et l'Aviateur, le gastos Chez Odette, donnent au tabac la dimension sociale qu'il avait quand il mêlait son odeur douceâtre à celles de la cuisine, des boiseries patinées des comptoirs, des sols lavées à l'eau de Javel, des alcools vins fins, bières ou anis selon les cas. Une odeur aujourd'hui disparue.

Mais attention, le roman ne se réduit pas à un inventaire de références. Pour le bon mot, on ne sait dire à la lecture, si l'évocation de l'époque est au service du récit ou si le récit est au service de l'évocation de l'époque. C'est l'une des qualités du roman.

La construction du récit en est une autre. Un enchaînement nerveux de plus de quarante courts chapitres, calibrés et peaufinés avec soin - Dario est un artisan de l'écriture - nous permet de suivre les parcours croisés de Fourrier, le commissaire «en charge du groupe des gauchos à la PJ», de Marco Caviani, l'artificier des Brigades Rouges, d'Ema Waremme l'amante fugace de Fourrier.

Une course poursuite s'engage entre Fourrier et Caviani dont on ignore la raison de la présence en France. Dans la paranoïa politique de l'époque, on imagine des projets d'attentats connectés soit avec le grand banditisme soit avec des officines gauchistes, soit avec les deux. Seul Fourrier, avec l'aide de Didier Champi - un brigadier pied-noir - est capable de démêler cet écheveau, notamment grâce à sa pratique des interrogatoires, sa madrerie vis à vis de ses indics, sa capacité à s'extraire du quotidien.

«Le commissaire Fourrier ne croit ni aux arts ménagers ni au design, et pas toujours, aux tuyaux des indics.»

Les nombreuses scènes d'action, de planques, d'interrogatoires, soutiennent le récit avec réalisme. L'enquête policière proprement dite est entrecoupé de chapitres relatifs à la relation complexe entre Fourrier et Ema. Bien qu'ils fassent parfois retomber la tension, ces chapitres illustrent d'une certaine façon la dérive de deux êtres parallèle à celle des valeurs traditionnelles. Ils donnent une dimension humaine et faillible au personnage de Fourrier et permettent de comprendre ce qui le meut.

Mon avis : le livre se lit d'une traite. L'écriture précise et nerveuse de Dario maintient l'intérêt du lecteur. L'histoire restitue avec justesse, sans lourdeurs et sans longueurs, les avanies d'une époque qui marque la fin d'une période. Les chocs pétroliers ont mis à mal la croissance économique. La contestation politique et sociale s'affranchit des réseaux politiques et syndicaux traditionnels, notamment la CGT et le PC. le Gauchisme se radicalise et son action flirte avec le droit commun. le septennat de VGE finit en capilotade et n'assume plus son ambition de faire progresser la société française vers la Société Libérale Avancée promise par le candidat. L'enquête de Fourrier se situe dans ce substrat qui est rendu de façon très réaliste dans Palikao79.


PS : Côté vocabulaire, on citera l'utilisation des mots héliophanie, égrotant, nissart, sudète, orbe. Des mots aussitôt soulignés par mon correcteur Word, sauf orbe, qui existent réellement, je vous laisse le soin d'en découvrir la signification.

Le livre est aussi un bel objet : couverture à deux rabats intérieurs, positionnement élégant de la numérotation des pages. Merci aux éditions Envolume pour cette belle réalisation et pour l'accueil sur leur stand du Salon l'Autre Livre.
Lien : http://desecrits.blog.lemond..
Commenter  J’apprécie          262



Ont apprécié cette critique (26)voir plus




{* *}