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Critique de berni_29


La Mer à l'envers, ce n'est pas la mer à boire...
Quand justement Rose part en croisière avec ses deux enfants, elle n'imagine pas un seul instant que plus rien ne sera comme avant, comme le surgissement de l'inattendu dans ses jours ordinaires.
Son couple est un peu en perdition, elle ne sait plus trop bien où elle va, avec l'ennui qui l'étouffe, son métier qui ne la passionne plus et un mari alcoolique. Cette croisière sur la Méditerranée dans cet immense paquebot de luxe est l'occasion pour elle de prendre un peu le large, faire ce pas de côté devenu salutaire. Rose est une femme et mère un peu perdue dans sa vie, elle a pourtant l'habitude d'aider les autres, elle est psychologue, un peu guérisseuse aussi, mêlant la magie à la pratique de son métier, c'est ce qui rend également insolite son personnage un peu déviant.
Les couples sont un peu comme ces grands bateaux difficiles à manoeuvrer, à faire bouger de leurs trajectoires, et quand il y a une voie d'eau qui s'agrandit, c'est un peu comme le Titanic, l'orchestre continue de jouer sa musique comme si de rien n'était.
Une nuit le paquebot de croisière où séjournent Rose et ses enfants rencontre une embarcation en difficulté, remplie de migrants à son bord. Rose, dans cette cabine de passagers un peu étroite pour trois personnes, se doute qu'il vient de se passer quelque chose... Elle entend des voix, des cris... Pendant que la croisière s'amuse, Rose va être témoin du sauvetage de ces survivants.
Elle est un peu perdue comme cette nuit-là sur le pont du bateau avec la Méditerranée qui l'entoure, immuable, se frayant un chemin parmi les membres de l'équipage et les réfugiés transis de froid, elle enjambe les corps de ceux qui se sont peut-être noyés, tandis que d'autres passagers continuent de danser deux ou trois étages plus bas dans l'ivresse et la frénésie de la musique.
On distribue des couvertures de survie, du café chaud, on évacue ces nouveaux arrivants dans la zone sous l'eau, juste sous le casino, des femmes bercent des bébés en pleurs. C'est une scène sidérante avec l'angoisse de la nuit, peinte avec justesse, j'ai l'impression d'être aux côtés de Rose qui s'active parmi les visages hagards parce qu'elle sait y faire. Parmi les naufragés, le regard d'un jeune homme capte son attention, c'est encore un adolescent, il s'appelle Younès, il a seize ans, plus tard elle apprendra qu'il est venu de son Niger natal en passant par la Libye. Ce dont il a besoin, c'est d'un téléphone. Il est aussi perdu qu'elle, comme venu de nulle part... Alors elle court vers sa cabine et lui ramène celui de son fils Gabriel qu'elle lui a pris à son insu, avec son chargeur... Elle ne sait pas encore que ce geste déclenchera tout.
Le lendemain, les garde-côtes italiens emportent les migrants sur le continent. Gabriel, désespéré, cherche alors son téléphone partout, et verra en tentant de le géolocaliser qu'il s'éloigne du paquebot. Younès l'a emporté avec lui, de l'autre côté du paysage, dans son périple au-delà des frontières.
J'ai aimé cette image du signal de la géolocalisation comme une étoile égarée dans la nuit sidérale d'un écran informatique, comme un fil invisible qui continue de les relier encore un peu et peut-être à jamais...
Imagine-t-elle à ce moment-là que l'étoile refera surface dans le ciel... ?
Marie Darrieussecq esquisse une histoire de vie presque ordinaire, avec comme toile de fond le sujet prégnant de l'immigration qui parvient jusqu'à nos quotidiens par le prisme de l'actualité. C'est le chemin d'une mère de famille pleine de bon sens qui croise le destin d'un jeune migrant. Ce sont deux trajectoires qui se croisent dans l'incompréhension réciproque de deux mondes.
Plus tard, quand Younès refera surface dans sa vie, il y aura le regard des autres sur Rose, celui de ses proches, ses enfants, son mari alcoolique, sa mère, ses amis...
La plume de Marie Darrieussecq est sarcastique pour dire l'hypocrisie, l'indifférence, l'incompréhension des autres. Il n'y a aucune morale, aucun jugement, aucun bon sentiment pour dire cela, Rose aussi est égoïste, tâtonne aussi dans cette incompréhension. Marie Darrieussecq ne dénonce rien, elle observe et raconte une histoire aux apparences légères sur un sujet qui prend aux tripes.
L'écriture pourrait presque paraître banale, le texte est gorgé de phrases courtes qui cueillent l'instant et charrient des sensations très fortes. Malgré ses apparentes maladresses et ce sentiment d'inachevé, ce récit poétique, où s'invite un peu de magie, porte une humanité qui fait du bien.
C'est un roman étrange et attachant, perturbant aussi, dont la voix continue de résonner longtemps après, comme ce petit signal de géolocalisation, sorte de bouée en perdition dans la nuit abyssale.
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