Citations sur L'Ascension du haut mal, tome 1 (19)
Je n’ai pas peur. Je n’ai plus peur depuis un rêve que j’ai fait. Je dormais chez mes grands-parents. Je rêvais du dieu des morts Anubis. Il s’avançait vers moi, j’étais terrorisé. Je me suis réveillé. Anubis était toujours là, il continuait d’avancer. Soudain, tout s’est arrêté. Il n’y avait plus que l’ombre de l’armoire qui avait vaguement la forme d’un chacal. Depuis, je peux avoir peur des gens, de la vie, de l’avenir. Mais je n’ai pas peur des fantômes, des diables, des sorcières, des vampires.
Je me bats contre la blanquette de veau, contre le bœuf aux carottes, contre le steak saignant, contre les saucisses de Strasbourg et de Francfort. Je ne sors pas souvent vainqueur de ces combats.
- Fafou, tu ne sors pas de table tant que tu n’as pas fini !
A présent, je suis ravi. J’adore le riz, ça tombe bien ! J’ai plein d’amis : le riz complet, le boulgour, le miso, le gomasio, le tamari, le Kouzou, le thé mu, le thé de trois ans, les izikis, les umebozis… C’est vrai, ce changement d’alimentation me soulage. Je commençais à renâcler contre la nourriture. C’est elle qui me mangeait. Je ne trouve pas la paix intérieure, mais je fais la paix avec mon assiette.
Puis les crises reviennent petit à petit. On sait quand il va en avoir une. D’un coup, il s’arrête de parler et de bouger. Il devient tout rouge, prend un sourire idiot et nous cherche des yeux comme pour se raccrocher à nous. Tout à coup, il part sur le côté en gémissant. Ses membres sont raides, il a les yeux révulsés, il bave un peu. Parfois, la crise s’arrête là, parfois, il revient un peu à lui, se détend, mais garde les yeux vagues. On dirait qu’il hésite, à la lisière entre deux mondes. Puis il replonge à nouveau. Quand il émerge, il nous regarde étonné.
- Tu as eu un malaise mon chéri.
- C’est pas vrai !
Le midi, mon père nous raconte la bible. J'aime bien ça, surtout quand il y a de la bagarre. Ma mère, elle nous raconte la conquête du Mexique par Herman Cortés. Ca c'est encore mieux parce qu'il n'y a que de la bagarre.
- Nous sommes solidaires de Jean-Christophe, nous sommes malades de sa maladie.
Je fais mon premier livre avec mon frère. Ca s'appelle "Les martyres de Florence". Ma soeur y est torturée à chaque page.
J'observe bien les crises de mon frère et un jour je me lance dans un jeu terrible.
- C'est facile de te faire avoir une crise. J'ai bien vu moi, t'as un malaise quand t'es énervé!
C'est vrai quand il est contrarié ou mal à l'aise ça ne rate jamais.
- Hé, hé, hé! Tu vas avoir une crise!
- Arrête! T'es fou!
- Hé, hé, hé! Regarde! T'es déjà tout rouge!
Soudain, j'ai peur de ce que je suis en train de faire. J'ai un pouvoir terrifiant sur mon frère, j'en prends conscience. Je ne recommencerai jamais ce jeu. J'ai le sentiment d'avoir grandi.
La grande ronde des médecins a commencé pour mon frère et mes parents. Ils vont voir le médecin de famille qui les envoie à son professeur qui n’exerce plus. Il les reçoit quand même t décèle des crises d’épilepsie. Il les recommande à un neuropsychiatre parisien. Son diagnostic est à la hauteur de ses honoraires.
- Madame, votre fils est méchant !
- J'ai parfois des explosions dans la tête. Cela dure une seconde et puis c'est fini. Je me dis : c'est elle, elle est là.
Je ne suis pas un personnage particulier, je suis un groupe, une armée. J'ai assez de fureur en moi pour cent mille guerriers. J'ai assimilé les crises de mon frère à cette même fureur. Sur quel cheval est-il emporté ?