J'étais observatrice et discrète comme mes deux seules amies, des fillettes gentilles, satisfaites, sans grandes ambitions. Je ne brassais pas d'air, j'étais coopérative, je ne répliquais pas aux sobriquets, à la douce violence que font subir les enfants aux autres enfants qui passe inaperçue aux yeux des adultes. Je roulais ma bosse. Ma personnalité tumultueuse s'était adoucie, polie par le frottement à cette nouvelle culture où j'apprenais à être sans grimper aux arbres.
Mon intégration d'enfant immigrante a passé par là honte de ce que j'étais, le rejet de ce qui me constituait et une série de petites trahisons envers moi-même et mes parents. J'ai commencé à me concevoir qu'à travers les yeux des autres, en tentant d'anticiper leurs réactions. [...] J'ai capitulé en me privant de ce qui me plaisait, me dépossédant de petits bouts de moi.
"Je n'aime plus ça" : le premier mensonge d'une longue série pour apprendre à devenir quelque chose comme une Québécoise.
L’odeur des vieux livres resterait pour moi source de réconfort ; pour ma mère, elle lui rappelait son incapacité à tout nous offrir.
Devant l’inconnu, nous avions beau marcher ensemble, je sais que chacun de nous était seul.
Avec nos visites qui se renouvelaient chaque samedi, la bibliothécaire m'a rapidement reconnue, compris mes goûts et a commencé à me mettre des ouvrages de côté, m'offrant des livres un peu plus gros, un peu plus difficiles que ceux j'avais l'habitude de lire, me guidant hors des sentiers battus, me tirant, roman par roman à un niveau supérieur.
J’ai toujours aimé fouiller dans les tiroirs des gens. J’ai d’abord cru que cela m’était venu avec l’immigration et la recherche de ma bête lumineuse - cette quête de l’énigme identitaire tassée au fond de la commode, remisée en espérant ne plus y penser, comme si le passé pouvait être enfoui dans le mobilier.
Nous nous déchaînions à former onomatopées, syllabes et mots. Sauf que nous ne disions rien. Parce qu’une langue, c’est collectif et nous, nous étions seuls au monde.
Je me rends compte que c’est l’amour de ma mère qui a déplacé les montagnes, et pas n’importe lesquelles, toute la cordillère.
Écrire mon histoire comme toutes ces femmes en moi à ressusciter.
La biblio municipale a débroussaillé un sentier du désir que j’ai emprunté sans savoir qu’au bout il y aurait la possibilité de déplier d’autres destins que celui auquel j’étais promise.