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Critique de enjie77


« Permettez-moi de vous citer un vers de Phèdre de Racine : Ma vengeance est perdue, S'il ignore en mourant que c'est moi qui le tue. » (page 45)

C'est avec grand plaisir que j'ai retrouvé l'écriture d'Erri de Luca et je remercie les Editions Gallimard ainsi que Babelio de m'avoir permis(e) de me replonger dans ses réflexions philosophiques et métaphysiques. Ce qui me subjugue chez Erri de Luca, c'est l'aisance avec laquelle il fait de son style si dépouillé, si fluide, une véritable quête des profondeurs de la psyché humaine.

Un homme âgé, ancien militant de la cause révolutionnaire, passionné de haute montagne, alpiniste chevronné, s'engage sur le chemin escarpé d'une Vire dans les Dolomites en prenant soin de ne pas trébucher. Loin devant lui, à son insu, un autre homme, le précède. Ce dernier n'est autre qu'un ancien militant du même groupe révolutionnaire, à ceci près qu'il a dénoncé, auprès de la police, un certain nombre d'activistes dont notre homme âgé qui s'est retrouvé incarcéré quarante années plutôt. Assistant au loin à la chute de ce supposé inconnu, l'homme âgé alerte les services de secours.

« Impossible » une telle coïncidence, un tel hasard aux yeux du magistrat qui va tenter de faire « trébucher » l'accusé tant il reste persuadé de sa culpabilité avec préméditation.

De cette confrontation à huis-clos à laquelle l'auteur nous convie et des interactions qui en découlent entre le juge et l'accusé, une profonde réflexion s'installe entre le lecteur et l'auteur, c'est ce que j'ai le plus apprécié. Je me suis sentie très proche d'Erri de Luca. Il parvient à créer une proximité, une intimité avec son lecteur propice aux confidences. Son écriture abolit toutes les barrières et c'est de cette sensation de partage, le temps de la lecture, de ses propres pensées sur l'engagement, la fraternité, la fragilité de l'être humain qui m'a rendu cette lecture fascinante. Son questionnement rentre en résonnance avec le mien notamment sur la supposée neutralité d'un juge d'instruction (je pense au juge Burgaud dans l'affaire d'Outreau) comme sur l'emploi du « mot juste » pour éviter les malentendus, règle qui se perd aujourd'hui tant les mots sont remplacés par du franglais ou des anglicismes. Mais dans un débat duquel dépend votre avenir, l'utilisation du mot juste prend tout son sens.

Et il y a ces quelques lettres écrites à « Ammoremio » qui viennent comme un papillon se poser entre les chapitres dédiés à l'interrogatoire, des lettres d'amour, où est citée une très belle phrase de Léonardo Sciascia « Il écrit que la vérité est au fond du puits. Si on se penche, on voit le reflet du soleil ou de la lune. Mais si on descend dans le puits, on ne trouve ni l'un ni l'autre. On trouve la vérité. C'est ainsi, il faut descendre ou tomber dedans. le magistrat par exemple m'interroge de l'autre côté de la margelle. Il ne descend pas, il se penche tout au plus. »

Petit livre intelligent comme je les aime parce qu'il bouscule nos neurones et dont il se dégage une grande richesse de réflexions proposées par un homme de talent qui pose son regard sur sa destinée et dont l'esprit est en perpétuel questionnement. C'est un livre que je relirai.

« La langue est un système d'échange comme la monnaie. La loi punit ceux qui impriment de faux billets mais elle laisse courir ceux qui écoulent des mots erronés. Moi, je protège la langue que j'utilise ». (page 113)
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