si le résumé peut évoquer quelques sordides affaires dont nous avons eu vent par les médias ces dernières années, le roman est une fiction pure. Je ne connais pas tous les drames d'abus et de séquestration intrafamiliaux qui ont été médiatisés dans les deux décennies précédentes, on a malheureusement découvert quelques maisons de l'horreur, mais les souvenirs que j'en ai ont fait écho au texte que j'ai lu. Mais ce texte-là a su donner une vision plus profonde et précise de tous les protagonistes pris au piège du basculement d'une seule personne dans un fanatisme dévorant.
L'horreur, c'est bien le premier mot qui me vient à l'esprit pour désigner la misère matérielle, affective et psychologique qui a régné sur plusieurs années de vie de cette fratrie au sein de l'antre familiale. Mais c'est une horreur vécue et ressentie qui se transforme au gré de la lecture en un kaléidoscope d'autres impressions – compassion, admiration, mansuétude – grâce au talent de l'auteure. Celle-ci fait démarrer son récit sur la visite en prison d'une des filles, la
fille A, Alexandra, ou la mère, incarcérée à la suite de la découverte de la maison, vient de mourir : on comprend alors que la mère était, sinon seule coupable, du moins la complice à minima. Si elle est effectivement la première que l'on blâme, la suite du récit, alternant entre digression au passé, afin de comprendre comment une telle situation a pu exister, et au présent, qui expose les relations entre les différents enfants rescapés, a la force de présenter une situation autrement plus complexe, et nuancée.
Ce bourreau maternel que l'on présente enfermée entre quatre murs en ce début de roman tient davantage de la victime, d'une spirale de folie dans laquelle le père s'est laissé progressivement prendre : aucune excuse n'est mise en avant par
Abigail Dean, aucune tentative de disculpation, bien au contraire, j'ai ressenti qu'elle a davantage cherché à préserver cet espace entre préjugés, jugement à la hâte et condamnation et excuses et justification, pour en extirper ces explications qui ont mené à la folie d'un seul homme à asservir femme et enfants. Car c'est ce glissement vers le délire qu'il est utile de comprendre. Et qui fera comprendre cette dynamique familiale, qui a fini par avoir des conséquences sur les relations fraternelles, une fois exclue de l'autorité paternelle. C'est un récit qui m'a totalement pris aux tripes, mais aussi tenu en haleine, à chaque page tournée, on apprend à cerner un peu mieux toute la complexité de ces relations, et leur perversité. Il y a tant d'éléments et de mécanismes psychologiques en jeux, c'est édifiant et glaçant de rentrer dans cette intimité d'une famille dont la structure et les repères moraux ont volé en éclats, de rentrer dans la tête d'Alexandra la
fille A, celle qui détient à la fois le poids et la responsabilité de la libération ultime, d'observer la résilience de chacun. L'une des choses, à laquelle il est vrai, je n'ai pas forcément réfléchi d'instinct, c'est que le traitement réservé aux différents membres de la fratrie par leur bourreau n'est pas homogène, et les rapports qui régissent la fratrie, après le tsunami de leur libération, sont finalement déréglés. Enfin,
Abigail Dean a su éviter d'en faire un récit sombrant dans un voyeurisme inutile, et si la maltraitance est effectivement abordée de manière légitime, elle épargne cependant aux victimes le déballage de détails glauques sur d'éventuels abus sexuels, qui dans le fond n'apporteraient rien à la force de son récit. Même si dans la réalité, les choses en vont autrement.
C'est un récit mené, à mon sens, avec une sensibilité juste quand il s'agit d'évoquer les traumatismes de chacun, et de la
fille A en particulier, et une efficacité relative jusqu'au bout, qui réserve encore d'autres tensions dramatiques. J'ai envie de louer la réussite de l'auteure a avoir démonté les ressorts d'un drame dont il est bien difficile de se détacher de l'horreur de la situation pour en comprendre les tenants et aboutissants.
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