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Critique de Hermite


Quelle est l'actualité de cette édition du centenaire à propos du véritable tabou de notre société ?

Le spectacle est ce qui sépare les hommes entre eux. Il est source de leur passivité et de leur travail forcé. C'est une activité partielle de l'homme, un certain résultat de la production. Il parvient à redéfinir l'ensemble des rapports sociaux, puis l'ensemble de l'existant, ce qui en fait, selon la définition, une idéologie.

Mais ce n'est pas une illusion pour autant [l'automobile, nécessaire pour gagner sa vie, est réelle]. Il remodèle, sans que personne n'y pourvoit (il est dit «autonome») tout l'existant sous la forme d'une dépossession [recomposition de la circulation des centres-villes, qui interdit la marche à pied], sans retour critique, donc uniquement sur le mode de la «contemplation». le producteur lui-même est aliéné (et non simplement exploité), créant un monde «séparé», qui lui échappe [le salarié de la restauration rapide ne peut sincèrement pas exercer son talent culinaire], demeurant cantonné à son activité spécialisée [brevets professionnels visant l'efficacité plutôt que le savoir-faire]. C'est par ce mouvement qu'il s'isole, du fait même de sa socialisation.

Les travailleurs doivent donc retrouver la cohérence de leur lutte dans le devenir commun («unitaire»), perçu à travers la dialectique, description dynamique des rapports de production [au contraire de la lutte statique, «fausse conscience» qui pourrait voir en l'argent l'aboutissement de toute revendication alors que l'artifice monétaire et le caractère factice du besoin ne sont pas bien compris]. Celle-ci est enrichie d'un moyen d'appréhension critique des bases de la production (une «praxis») appelée construction des situations, mettant en contraste la subjectivité de l'individu et la pauvreté de son vécu en faisant apparaître les manques, les contradictions et l'institutionnalisation de ses désirs sous la forme de «médiations» [interrogeant la position de l'employé de bureau qui est aussi sportif du dimanche, de la victime de la mode sans une once d'élégance ou de l'agent du secteur culturel sans accès à la création]. Se prêtant à ce petit jeu, on ressentira peut être le taylorisme de l'intégralité de sa vie quotidienne comme la «spécialisation des images du monde» et constatera que souvent, «le vrai sera un moment du faux» [pareil à l'organisation rationnelle et réfléchie du cadre dans son activité pour une finalité socialement délirante]. C'est que l'individu est poussé à ressembler à la marchandise, allant jusqu'à se modeler sur la célébrité, c'est-à-dire sur une pseudo-personnalité n'étant que fragment [comme le montage des reportages ne fait voir qu'une parcelle voulue de la vie].

Pire, sa relation sociale se réduit au fameux «fétichisme» désignant l'achat comme relation entre individus [vêtements accessibles à cause de la misère des ouvriers, établissant un rapport de soumission «inverse» de l'image de sociabilité de la publicité]. le succès commercial devient alors le seul juge des «projets licites». La marchandise elle-même perd sa capacité d'usage [SUV, voyages intercontinentales en club et piscines superflus] et devenant uniquement support de la valeur d'échange au service du simple «paraître», ou même de l'argent pour lui-même, en cela assimilable à l'archaïsme de l'or.

Rien de nouveau sous le soleil. C'est bien à cause de «l'égalité sur le chronomètre» des producteurs en concurrences, c'est à dire du «quantitatif», que la qualité et la diversité se perdent [contenu des rayons alimentaires ayant une forte chance d'appartenir au même holding, d'être produit dans des usines identiques], et c'est par ce que tous les biens nécessaires à la vie sont soumis au quantitatif (définissant la «survie augmentée») nécessitant mécaniquement de toujours plus exploiter la force de travail pour parvenir à une satisfaction moindre, que personne n'échappe à la marchandise, puisqu'alors la subsistance est rendue impossible.

Sous cette nécessité de reconstituer toujours la rareté, le moyen devient logiquement la fin [PIB et fin du chômage comme objectif de la nation], le contenant le contenu [la télévision ne parle que d'elle-même] et le spectacle devient aussi bien une seconde nature [la problématiques environnementale devient la responsabilité de l'individu isolé, alors que la mise en commun des équipements n'affleure pas le discours], qu'un nouveau sacré remplaçant imparfaitement le «mythe» universel du catholicisme.

Une fausse abondance, qui par son remplacement perpétuel [obsolescence des normes et effet de mode], et par la routine de sa production-consommation, crée un ressenti du temps «pseudo-cyclique», assimilable aux travaux saisonniers du paysan, pour un individu privé du développement de sa vie [absence de formations à l'âge adulte], de la maîtrise de son temps [emploi du temps rigoureux] ainsi que de son «histoire» commune [Le soi-disant progrès est surtout celui du productivisme].

La ville elle-même est privée d'histoire [par l'omniprésence du béton, matériel recomposé qui ne peut s'aménager ni se réutiliser, et par les règles d'urbanismes rigides, déléguant le paysage à la «représentation hiérarchique»]. C'est par ce qu'elle veut concentrer la valeur d'échange, et par ce que l'appréciation de la valeur d'usage est faussée, que la ville désertifie en retour des territoires pourtant viables.

Dans cette idéologie matérialisée, le matériel crée de l'abstraction [les réseaux sociaux, ensemble de machines, s'interposent dans les relations subjectives] et l'abstrait exerce une action sur le concret [la publicité fait acheter], créant un empire qui n'est ni une conspiration, ni un despotisme, mais une recomposition autonome du monde. L'absence de construction authentique de la vie (d'«évènements») et de communauté explique le besoin d'un palliatif, d'une représentation, provoquant l'adhésion à ce monde aux charmes fallacieux.

Les situs sont des artistes qui se sont intéressés au marxisme afin d'expliquer la platitude de la vie quotidienne persistant malgré le contexte d'automatisation prodigieuse. L'ensemble des manières et des savoirs («culture») qui correspondent à cette perspective est l'émancipation de la création subjective partout et tout le temps, et non pas dans les musées pétrifiés ou dans la production morte du secteur tertiaire, et réclame la mort de l'art en dépassant Dada et le Surréalisme.

De l'histoire des échecs de la gauche (forcément un peu hors-contexte), retenons l'émergence de la trahison, déjà dans la joute entre Marx et Bakounine, ainsi que dans le manque d'authenticité des conflits de classes noté par Rosa Luxembourg. Quant au conseillisme, il est si peu discuté qu'il est difficile de s'en faire une opinion. En quoi des intérêts particuliers n'y referaient pas ressurgir une forme de spectacle?

Les thèmes ajoutés à la vulgate marxiste sont finalement peu nombreux mais importants (consommation aliénée, temps figé, idéologie rétroagissant sur le matériel, création libératrice, la médiation comme racine du mal). En particulier, pour une identification plus rigoureuse du prolétariat, on lira avec bonheur « La métamorphose du bourgeois » de Jacques Ellul. Parlant de la rareté et de la séparation, on pourra lire aussi Ivan Illitch comme un complément exclusif, car pensant sur une base difficilement conciliable (dialectique matérialiste versus non-neutralité de la technique).

J'ai déjà trop simplifié la tâche du lecteur pressé pour ne pas lui demander de faire au moins l'effort de consulter un bréviaire du Marx, et de ne pas trop s'arrêter sur le renversement du génitif, sous peine de faire passer pour agaçant ce qui se veut simplement insolent!

Évidemment, pour être complet, il faudrait faire deux ajouts contemporains.

Ainsi, le crédit, initialement distinct du spectacle, comme réallocation temporelle et interpersonnelle de temps de travail, en devient grâce au système bancaire le principal soutien, de par son abondance, renforçant le délire de la valorisation des capitaux, terrains immobiliers, NFT etc.

La pollution partage les caractéristiques du spectacle ,en est exactement concomitant et le détrône comme principal résultat de la production. Comme lui, il produit de la rareté [géo-ingénierie], interdit l'histoire, et l'on voudrait ici aussi faire oublier la possibilité d'examen du coeur du réacteur. Mais cette fois c'est la nature qui est rendue moins riche, renforçant ainsi les «présuppositions» qui justifient le système. En même temps, le credo conservateur qui voudrait «la passivité plutôt que le chaos» est mis à mal…

On le voit, le spectacle est partout, et c'est pour cela qu'il peut être combattu partout!




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