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Critique de CDemassieux


Un écrivain s'envole pour New York, officiellement pour réaliser un reportage sur la ville, officieusement pour agrandir sa collection d'après avec une pièce unique : l'observation d'une femme noire après la mort de sa fille exécutée pour meurtre, et qui fuit les médias avides de ses réactions quant au sort de Laura.
Ces après qu'il a accumulés depuis des années, ce sont les marques de la vie réelle qui s'opposent à ces personnages inventés de toute pièce par son imagination et qui ne lui apportent plus rien, au point qu'il a décidé de ne plus écrire, en omettant de le révéler à sa femme et son éditeur.
Alors dans un New York envahi par la neige, Antoine Dessangles va croiser la route d'individus décalés : une employée d'agence immobilière amatrice de jazz qui le traîne dans un restaurant avec orchestre pour touristes, un capitaine de police dont la femme écrit des romans policiers et fait très mal la cuisine, et enfin Madame Seyerling, qui s'accroche à l'espoir de gagner un concours dont le premier prix est un voyage en Angleterre, ce qui lui permettrait de concrétiser un rêve, visiter un jardin sur lequel elle sait à peu près tout : celui de Sissinghurst. Elle se raccroche à ça comme à une bouée de secours parce que « quand le chagrin ne tue pas tout de suite, il use », dit Decoin dans un autre roman.
Mais rien ne va se passer comme prévu et Antoine va découvrir en cette Madame Seyerling, qui écoute à l'occasion Miles Davis ou Gershwin pour remplir le vide de cette grande maison qu'elle occupe en face de chez lui, un être fragile, brisé par le drame de sa fille Laura, et s'attacher, ce qu'il ne faut pas faire avec un après. C'est même la première fois qu'il noue le contact dans ce genre d'entreprise et cela va le mener au-delà de ce qu'il croyait, jusqu'à se prendre lui-même pour la providence de cette femme. C'est-à-dire qu'il abandonne son rôle de témoin pour devenir acteur de cet après qu'il était venu chercher.
Didier Decoin écrit avec ce souci méticuleux de l'introspection, creusant ses personnages au plus profond pour en extraire la vie dans ce qu'elle peut avoir de plus intime, avec son cortège d'étrangetés, de trivialités même.
Mais Madame Seyerling est surtout un roman du rêve qui tente de résister à l'odieuse réalité, un roman où tous les prétextes sont bons pour s'échapper du poids de l'existence. le tout au fil d'une écriture très visuelle. Quoi d'étonnant à cela d'ailleurs, quand on sait que le père de l'auteur n'est autre que le metteur en scène Henri Decoin et qu'il a lui-même collaboré avec le cinéma.
C'est aussi une leçon de volonté que Didier Decoin nous offre ou, quand le pire est arrivé, il reste toujours quelque chose à espérer qui échappe à la logique, à commencer par celle du romancier : « Dans la vie, et c'est en partie pourquoi celle-ci l'emportera toujours sur le meilleur des romans, tout n'a pas besoin d'être élucidé ».

(Publié à l'origine dans Jazzosphère)
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