La virilité se mesure précisément à l'aune de la violence que l'on est capable de commettre contre autrui, notamment contre ceux qui sont dominés, à commencer par les femmes...Dans le cas présent, faire le "sale boulot" dans l'entreprise est associé, par ceux qui sont aux postes de direction - les leaders du travail du mal -, à la virilité. ..Et pourtant celui qui dit non, ou ne parvient pas à faire le "sale boulot", le fait précisément au nom du bien et de la vertu. Le courage en effet, ici, ce n'est pas bien sûr d'apporter sa participation et sa solidarité au "sale boulot", mais bien de refuser haut et fort de le commettre, au nom du bien, et de prendre ainsi le risque d'être dénoncé, sanctionné, voire d'être désigné pour la charrette des prochains licenciés.
Le mal, dans le cadre de cette étude, c'est la tolérance au mensonge, sa non-dénonciaiton, et au-delà le concours à sa production et à sa diffusion.
Faute de pouvoir effectuer un calcul, individuellement, "on suit le mouvement" et on ajuste sa conduite sur celle des autres pour ne pas prendre le risque d'aggraver son cas en "se faisant remarquer" ou en se singularisant. En d'autres termes, au calcul de rationalité se substituent l'opportunisme et le conformisme, qui ne sont pas des stratégies irrationnelles.
Le réel est ici entendu comme ce qui dans l'expérience du travail, se fait connaître au sujet par sa résistance à la maîtrise, au savoir-faire, à la compétence, à la connaissance, voire à la science. L'expérience du réel dansle travail se traduit par la confrontation à l'échec. Cet échec peut concerner aussi bien l'ordre matériel des machines, des outils, des installations,etc, que l'ordre humain et social. Pour ceux dont la tâche est de diriger des hommes, la mise en échec du savoir-faire managérial par la résistance psychique au changement, la rétivité, l'indiscipline, les grèves,etc... relèvent du réel.
Ainsi, à la première phase du processus de construction de la tolérance à la soufrance qu'à constituée le refus syndical de prendre en considération la subjectivité succède une deuxième phase : celui de la honte de rendre publique la souffrance engendrée par les nouvelles techniques de gestion du personnel.
Au-delà de la santé du corps, les préoccupations relatives à la santé mentale, à la souffrance psychique au travail, à la crainte de l'aliénation, à la crise du sens du travail, non seulement n'ont été ni analysées, ni comprises, mais elles ont été le plus souvent rejetées et disqualifiées par les organisations syndicales... Les enquêtes commencées dans les années 70 en psycho-pathologie du travail se sont, à l'époque, heurtées à l'interdiction syndicale et à la condamnation gauchiste...car entachées d'un péché capital : celui de privilégier la subjectivité individuelle, d'être censée conduire à des pratiques individualisantes et de nuire à l'action collective...un "nombrilisme petit-bourgeois".
La virilité c'est le mal rattaché à une vertu (le courage) au nom des nécessités inhérentes à l'activité de travail. La virilité c'est la forme banalisée par laquelle on exprime la justification des moyens par les fins. La virilité est le concept qui permet d'ériger le malheur infligé à autrui en valeur au nom du travail.
"Rationalisation" désigne ici une défense psychologique qui consiste à donner à un vécu, un comportement ou à des pensées reconnus par le sujet lui-même comme invraisemblables (mais auxquels cependant il ne peut pas renoncer), un semblant de justification en recourant à un raisonnement spécieux plus ou moins alambiqué ou sophistiqué.