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Critique de LaSalamandreNumerique


Il n'y a plus, aujourd'hui, personne qui, sérieusement, nie que nous vivons dans l'holocène, au sein de la sixième extinction de masse de l'histoire de la terre. le taux de disparition des espèces animales et végétales est de 100 à 1 000 fois plus rapide que la norme, plus de 70% de l'ensemble des plantes et près de 1/3 des insectes sont menacés d'extinction à brève échéance, avec les conséquences en cascade que chacun peut imaginer. Sur le plan non des espèces mais du nombre d'animaux la situation est tout aussi alarmante. Une récente étude allemande, pouvant être étendue à l'ensemble des pays similaires sur le plan agricole, montre une disparition de 80% des insectes pollinisateurs depuis 1989, impactant tant les cultures que les oiseaux qui s'en nourrissent. de façon empirique toute personne de plus de 40 ans peut se souvenir combien rouler plusieurs centaines de kilomètres amenait à avoir d'insectes écrasés sur les pare brises… ce qui n'arrive plus guère. le réchauffement climatique est sans cesse plus perceptible, les coraux meurent tout comme les abeilles et chacun est sensibilisé à la disparition des grands mammifères.
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Mais, pour qui se soucie avant tout des sociétés humaines et pas de la nature, est-ce si important ? La question est légitime.
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Dans « Effondrement » Diamond apporte des éléments de réponse cruciaux à cette question. En effet il s'attache à analyser les causes principales ayant mené de très nombreuses sociétés humaines ayant précédé les nôtres à échouer et à disparaître et démontre, de façon scientifique et convaincante, les liens fondamentaux unissant l'homme à son environnement. Il étudie précisément ce qui a pu causer l'effondrement de plusieurs sociétés passées, des difficultés considérables pour des populations au début du XXIe siècle et s'interroge enfin sur les menaces probables pour les nôtres dans un futur proche.
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Diamond démontre avec rigueur, dans un langage plaisant et accessible pour chacun, que les sociétés qui ont disparu ont été affectées par un ou plusieurs des facteurs suivants :
- L'épuisement par les hommes des ressources naturelles, avec un rôle particulier pour les forêts, source de bois mais aussi élément essentiel pour garantir la fertilité des sols.
- Les changements climatiques.
- La pression, largement militaire, de voisins hostiles.
- Les rapports de dépendance avec des voisins sur le plan du commerce
- Les réponses que les sociétés peuvent apporter aux problèmes rencontrés, avec deux axes principaux qui sont la sagesse ou l'irresponsabilité des élites d'une part et les choix de l'ensemble des citoyens d'autre part.
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Ce livre étudie différentes sociétés passées, allant de cas relativement simples sur des îles de petite taille (l'exemple le plus approfondi et riche étant celui de l'île de Pâques) à des sociétés plus étendues comme les Mayas, les Khmers et une étude très documentée et développée sur la disparition des Vikings du Groenland. Il démontre que, dans chaque cas, la disparition de ces sociétés a été largement multi-causale, associant des difficultés écologiques à des choix peu judicieux des populations.
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Diamond s'attache ensuite à diverses sociétés actuelles, insistant sur des aspects parfois méconnus par la plupart d'entre nous. Selon lui les massacres au Rwanda pouvaient largement être anticipés et sont très dépendants d'une surpopulation par rapport aux possibilités nutritives des sols. de la même façon diverses raisons historiques font que, sur une même île, la République Dominicaine offre un cadre de vie bien plus soutenable que Haïti. Globalement nous pouvons constater que les 5 facteurs relevés dans le cadre des sociétés s'étant effondrées dans le passé restent d'actualité.
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Enfin cet auteur s'attache à mettre en évidence divers problèmes que le XXIe siècle va devoir affronter comme :
- La destruction des habitats naturels (terres agricoles, forêts, marais…)
- La disparition des aliments sauvages, avant tout marins, jouant aujourd'hui encore un rôle majeur pour l'alimentation de très nombreuses populations
- La disparition de la biodiversité
- La dégradation des sols arables et donc de leur capacité à nous nourrir
- L'épuisement des ressources énergétiques (et le coût de leur remplacement)
- le manque d'eau douce
- La disparition de terres utiles pour des habitats naturels (et les conséquences entre autre pour le climat et l'oxygénation)
- Les différentes pollutions liées à nos productions (pesticides, insecticides, herbicides, mercure, détergents, plastiques…)
- Les espèces invasives nuisant à des zones entières (lapins en Australie par exemple) avec un coût écologique mais aussi économique conséquent
- Production de différents gaz nuisibles (fréons, gaz à effet de serre…)
- Croissance démographique (nombre et impact sur les ressources naturelles de la hausse du niveau de vie d'une fraction croissante de cette population)
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Loin de se vouloir un livre catastrophiste Diamond veut, au contraire, faire passer un message positif, montrant que, par le passé, diverses sociétés ont pu et su résoudre de graves soucis et survivre. Il illustre ce point par exemple en louant les islandais qui, après des erreurs initiales, ont réussi à conserver une île vivable dans un contexte difficile ou le Japon du XVIIe siècle qui a su préserver ses forêts, il nous instruit aussi sur l'île de Tikopia où les populations ont pu survivre durablement grâce à un contrôle rigoureux de la natalité.

Pour autant il réfute un certain angélisme qui voudrait que les sociétés passées ayant disparu, moins évoluées que la nôtre, ne sauraient nous instruire sur des risques actuels. Au-delà de la boutade consistant à inviter qui pense que les soucis environnementaux sont mineurs à aller cultiver du blé au pôle nord Diamond insiste sur le fait que tout progrès technologique apporte des solutions mais aussi de nouveaux problèmes. Il rappelle une anecdote saisissante : aux débuts de l'automobile cette dernière était vue comme la solution idéale pour avoir des villes propres et silencieuses car enfin débarrassées des chevaux. de façon plus profonde il montre que certaines élites et populations, pourtant parfaitement informées des conséquences à long terme de plusieurs de leurs choix, ont continué à épuiser les ressources naturelles jusqu'à la fin : coupant par exemple les derniers arbres sur l'île de Pâques ou refusant jusqu'au bout au Groenland de s'adapter à différentes contraintes ou de privilégier des structures sociales moins inégalitaires.
Nos sociétés ont plus de moyens que celles du passé… mais leurs impacts sur nos environnements croissent simultanément, avec des effets cette fois planétaire.
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Ce livre présente quelques défauts (qu'il serait trop long de détailler, comme l'intégralité de son contenu) mais il me semble l'un de ceux qu'il est le plus fondamental de lire aujourd'hui. Outre son évident intérêt historique incluant l'étude admirable et très approfondie de la disparition de deux sociétés particulières (sur l'île de Pâques et au Groenland avec les vikings) il permet de prendre conscience des liens fondamentaux qui unissent l'homme et son cadre de vie, hier comme aujourd'hui et pour demain.
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L'écologie ce n'est pas seulement (même si ce serait suffisant à mes yeux) la défense de la beauté d'un monde animal et végétal, c'est aussi la base de la survie d'une humanité prospère.
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Diamond nous rappelle que ce sont les choix de chacun, dirigeants mais aussi de tous les individus à leur échelle parfois modeste, qui conditionneront à assez court terme sinon la survie de l'humanité du moins le fait que cette dernière puisse rester prospère et vivre dans un monde capable de satisfaire nos principaux besoins. Et il le fait non en tenant un discours moralisateur mais en nous démontrant de façon largement rigoureuse que chacun de nos actes a des conséquences qui impacteront la survie des sociétés que nous connaissons comme le bien-être de nos enfants.
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L'avenir est entre nos mains. Par le passé certains groupes humains ont fait de bons choix, parfois courageux et contraignants, et ils sont toujours présents sur cette planète. D'autres ont été plus avides, moins efficaces, moins lucides, parfois aussi moins chanceux. Ils ont disparu. Qu'en sera-t-il de nous ?
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