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Critique de MonsieurHyacinthe


Vous pensiez tout savoir sur votre couple, sa fibre textile, son élasticité, la qualité de ses liens ? Et si Philip K. Dick faisait tout chanceler pour mettre un grand coup de ciseaux dans vos certitudes ? Rangez vos sentiments bien à couvert, « Confessions d'un barjo » va bringuebaler vos neurones en fusion, va jongler avec vos convictions amoureuses. Moi-même, à peine le roman fermé, je doute. Quand le romancier prend « le ménage » à bras-le-corps, autant vous dire que ça déménage. Il essore le sujet jusqu'à nous tirer les larmes, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien d'humide, jusqu'à l'ultime sécheresse des sentiments.

Dans cet ouvrage de littérature blanche (non codée, non SF), haut en couleurs, tout d'abord, il y a l'humour et la forme, essentiels à mes yeux. Les premiers chapitres sont irrésistibles de loufoquerie et d'invention stylistique. Un peu labyrinthique, le lecteur chahuté verra ses interrogations dissipées plus tard. Voilà de l'écriture, au sens raffiné, de la fichue littérature stylisée, des effets, des tournures, du jargon, des ordureries, tous les niveaux de langues y passent. C'est jubilatoire au possible ! Je me marrais tout seul devant ces pages généreuses et foldingues, en pleine ébullition intellectuelle, alors que ma femme roupillait sévère à-côté. le personnage de Jack Isidore mériterait à lui-seul toute une oeuvre et à dire vrai, on l'aimerait encore plus présent dans ce récit.

Ensuite, il y a le jeu. K. Dick nous perd avec délectation de temps à autres, passant, d'un chapitre à l'autre, d'un narrateur à l'autre, d'une femme à l'autre. Il faut parfois trente lignes pour savoir qui parle, la technique est précieuse et appréciable et offre une autre vision d'un même événement. On se poile. Ça change du quotidien avec Madame Ronflette.

Vient de suite la finesse de la psychologie. Et alors là, je ne m'attendais pas à pareille leçon. Certes, passé 60 pages, le roman devient plus conventionnel (ce sera mon unique bémol), il suit une trame plus classique. Une fois tous les éléments narratifs posés, Philip K. Dick déroule son intrigue et ses rebondissements, délaissant quelque peu la jubilation initiale. Mais ce travail est remplacé par une force d'introspection des personnages, une pénétration dans chaque ciboulot, une connaissance aiguë des mécanismes de soumission et concession. La psychologie du couple y est disséquée au scalpel. Pour moi, c'est le roman du piège amoureux, du traquenard passionnel, de la souricière des tourtereaux. Chacun va gratter au plus profond de ses vérités, créer des sillons d'analyse, des logiques propres, douter de l'autre, douter de lui, douter de tout. Est-on vraiment libre ? Tous azimutés, tous siphonnés, tous jobards, comment vivre ensemble dans ces conditions, comment bien vivre, comment survivre ? le grand manège de la vie va en secouer plus d'un.

Voici donc un roman fichtrement adulte, pour ne dire expérimenté, chevronné, désarmant de sincérité et de cruauté. Certains avancent qu'il est tissé sur des nerfs autobiographiques, comme toute production artistique, ai-je envie de dire, chaque roman contient son auteur. Il est en tout cas le fruit d'une expérience personnelle, romancée à bloc, c'est certain. Aussi désopilant que cynique. Faut-il avoir aimé pour en comprendre toute la dentelle ? En tout cas, je ne sors pas intact de cette lecture. Madame Ronflette non plus. Fini le bourdonnement pendant que je lis. Marre des roupillons routiniers, de la rouille des jours, de la fausseté des fossettes. Dès demain, je demande le divorce. A bon entendeur !
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