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Critique de JustAWord


Après L'autre moitié du ciel, son recueil de nouvelles chez Mu, l'autrice française Sara Doke — également traductrice et journaliste — s'aventure à nouveau en territoire féerique après Techno Faerie.
Cette fois, c'est aux éditions Leha à qui l'on doit la traduction du Livre des Martyrs de Steven Erickson en langue française.
Sous la sublime couverture de Philippe Jozelon, voici le lecteur plongé dans une cité des arts et des fleurs, Foranza la magnifique.

Florence en féerie
Allusion transparente et assumée à la cité italienne Florence (Firenze), Foranza décalque cette grande ville connue pour ses arts et sa culture pour la transposer dans un monde où l'on vénère les fées et où les autels floraux deviennent des signes de dévotion.
Largement féminine, Foranza voue un culte quasi-mystique à la peinture et l'on y pratique la pictomancie pour enfermer des êtres vivants dans des tableaux. Interdite, la pictomancie humaine se retrouve sur toutes les lèvres lorsque l'enquêtrice Aphrodisia Malatesta commence à étudier une série de crimes atroces commis dans les ateliers des grands maîtres de la cité et qui semblent s'acharner sur des femmes.
Dans le même temps, Foranza bouillonne. Martin, mercenaire étranger fraîchement débarqué, se fait engager par des femmes pour protéger les travailleuses et les citoyennes de violences et des viols qui secouent la ville.
Parmi elles, Lupa et Callista, deux fileuses craignant pour leur vie, surtout après l'attaque sanglante de leur fabbrica. Heureusement, elles peuvent compter sur le soutien de Chiara, la tenancière de la taverne au Fée-z-Alys, où se retrouve régulièrement tout ce petit monde.
Baignée dans une ambiance italienne proche de la Renaissance, La Complainte de Foranza utilise donc Florence en tant que décor et s'appuie largement sur l'art pictural pour échafauder son histoire de meurtres rituels qui virent rapidement…à l'ennui.

Trop plein narratif
Premier problème rencontré dans La Complainte de Foranza : la multiplicité de ses fils narratifs. En soi, la chose n'a rien d'exceptionnelle mais Sara Doke, certainement trop ambitieuse pour son premier roman, se loupe dans les grandes largeurs.
La plupart des arcs s'articulent mal entre eux et manquent d'épaisseur.
Seuls les récits de Martin et d'Aphrodisia ont véritablement quelque chose à proposer et parviennent à s'incarner un tant soit peu. Ce sont d'ailleurs les deux seules histoires narrées à la première personne du singulier où Sara Doke semble bien plus à l'aise pour exprimer des sentiments et faire vivre la rage qui habite ce récit engagé.
Pour autant, le roman ne trouve quasiment jamais un rythme convenable et s'enlise régulièrement dans une répétitivité qui lui nuit. Martin monte une milice de femmes, se lamente sur son manque de moyens, patrouille dans la ville et attrape des violeurs/rançonneurs et…bis repetita.
Même chose pour Aphrodisia qui découvre une scène de crime, la décrit avec luxe de détail, tombe sur une fausse piste et recommence.
Les autres arcs narratifs ne font guère mieux et, pire, semblent totalement déconnectés de l'intrigue principale, la palme au destin d'Esmée et toute la féerie qui l'entoure, opaque à souhait et qui accouche d'une souris. On passera sur les autres fils narratifs, tous accessoires et qui ne servent, au final, pas à grand chose. La Complainte de Foranza tourne en rond et appose les événements de façon aussi abrupte que déstabilisante.
Une épidémie qui sort de nulle part, une sombre histoire d'automates et de machines qui ne mène à rien sans parler des inventions de Pasquale qui n'apportent aucune réelle plus-value.
Trop préoccupée par sa toile de fond, Sara Doke laisse filer ses intrigues et ne parvient jamais à les faire décoller comme il se doit.

Le syndrome Furtifs
En réalité, La Complainte de Foranza souffre de la même tare qu'un autre roman d'imaginaire récent : Les Furtifs d'Alain Damasio.
L'ambiance florentine et les propos sur l'art ont bien du mal à masquer que toutes ces histoires entrelacées ne sont qu'un prétexte commode pour transposer les préoccupations féministes de l'autrice dans un univers fantasy.
Dès les premières pages, Sara Doke ne fait pas mystère de ses engagements et affiche clairement ses intentions. Trop clairement. Car, comme pour Damasio, le message sous-jacent s'avère d'une justesse quasi-impeccable et l'on ne peut qu'y adhérer…mais on frôle dangereusement l'overdose !
Placardant continuellement l'oppression et l'injustice des femmes, explicitant et sur-expliquant ce qui n'a pas besoin de l'être, Sara Doke étouffe littéralement son histoire sous un féminisme militant qui transpose à peu près toutes les tares de notre époque : femmes exploitées, dévaluées, violées, battues, mises à l'écart, objetisées, oppressées par un patriarcat et des puissants inhumains, conspuées pour leur sensibilité (sensibilité d'ailleurs mise à l'index par les femmes de la Cité pour mieux s'intégrer)…
À force de ne surligner que cette vision militante, le récit se noie et le reste passe à la trappe. Incapable d'infuser son message avec subtilité, l'autrice française ressasse les mêmes préoccupations et transforme son roman en une sorte de catalogue qui aurait très bien pu convaincre et avoir son utilité…sous forme d'essai !
Ce qui manque cruellement à Foranza, c'est la subtilité dans la narration et dans l'engagement. D'autant plus que tout n'est pas à jeter dans ce roman : l'ambiance, la mise en valeur des personnages féminins et de leurs souffrances, la pratique de la pictomancie à la violence graphique et artistique indéniable… autant de bonnes idées qui aurait du accoucher d'un roman passionnant. Mais Sara Doke trébuche et s'enlise, tire à la ligne sur des arcs inintéressants et artificiels…et boucle son récit sur une non-fin étrange qui semble aussi précipitée qu'inachevée.

Roman raté, La Complainte de Foranza construit un univers qui ne manque ni de beauté ni d'originalité mais qui se noie dans sa propre construction narrative et dans son militantisme surligné. Sara Doke oublie d'insuffler une âme à la plupart de ses (trop) nombreux personnages et gâche les possibilités de son monde pour une série de crimes répétitifs qui ne mènent…nulle part.
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