Citations sur Henry Russell (1834-1909) : Une vie pour les Pyrénées (6)
Son ami M. Packe, excellent montagnard lui aussi, se sert toujours, non du baromètre, mais d'un petit thermomètre (à mercure !) qui lui donne avec une grande précision le point d'ébullition de l'eau dans une bouilloire à esprit-de-vin qu'il emporte avec lui. Par un calcul fort simple, il en déduit la hauteur du lieu.
Russell discernait déjà : "Le sort du monde se décidera sur le Pacifique, entre la Russie et l'Amérique"". Quant à l'immensité de l'empire russe, il eut cette remarque : "Il semble qu'un empire aussi colossal doive, ou crouler sous son propre poids, ou étouffer un jour tous les autres, et faire dévier l'axe moral du monde." Prédiction étonnante pour s'être aussi bien réalisée au siècle suivant!
En fin d'après-midi, n'y tenant plus, il monta au sommet [...] Là-haut quel bonheur! A six heures du soir il vécut intensément le coucher du soleil , assis sur des pierres encore toutes chaudes, fumant un cigare en grillant aux derniers feux du jour finissant. La nature était au diapason de son cœur nostalgique. cette lutte entre la lumière et la nuit lui paraissait bien proche de la fin d'une belle vie dont les derniers éclats ont la mélancolie du crépuscule.
Mais le froid commençait à s'installer, aussi, quarante minutes après, tous les trois redescendirent par des glissades immenses et arrivèrent à Bellevue. Après le repas, fasciné par la lune qui planait en silence sur un monde assoupi, il se promena encore alentour jusqu'à minuit.
Il arrivait parfois qu'une gouttière s'oubliât dans le cou d'un invité ou que le sommeil fût contrarié par quelques bestioles, mais il était de bon goût de ne pas s'en apercevoir, et, tout en s'essuyant ou en se grattant discrètement, de vanter la surprenant étanchéité des parois et le confortable asiatique de la couche. Qui, du reste, parmi nous, les favorisés, n'affirmerait que ces nuits furent les meilleures de sa vie.
(Henri Brulle, à propos des grottes que Russel fit creuser près du sommet du Vignemale pour y séjourner et y recevoir ses amis)
"Une grande vérité doit vivement frapper dans ses voyages tout être qui pense et réfléchit: c'est qu'il y a bien moins de différence entre les hommes qu'on ne l'imagine ; l'homme est son cœur, quelle que soit sa physionomie, sont toujours les mêmes ; l'intelligence fait de tous les hommes une famille ; elle seule les distingue de tout le reste de la création, à ce point que s'il n'y avait entre le dernier d'entre nous et le plus intelligent des animaux que la distance qui sépare un grain de sable des espaces interplanétaires, nous ne serions plus les rois du monde." (Russel)
Cette réflexion est étonnante et très moderne de la part d'un représentant des nations européennes les plus ethnocentristes, en ces années de conquêtes coloniales effrénées.
un homme tomba à l'eau et ne reparût plus, probablement devenu la proie d'un alligator que Russel avait observé quelques instants auparavant à la clarté de la lune. Malgré l'hostilité apparente de la nature, il était heureux de se trouver sur ce bateau, descendant vers un air plus pur et plus chaud, chargé des parfums des magnolias et des champs de coton de la Louisiane.