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Citations sur Black velvet (3)

Déjà il se rendait compte que son image se délitait dans sa mémoire. Sa chevelure de ténèbres et ses yeux de feu le transperçaient encore, mais il commençait à oublier ses traits. Il savait qu'il mettrait plus longtemps à oublier son corps, astre "ici-bas chu d'un désastre obscur", épave échouée près de lui, pâle méduse rejetée sur le rivage du lit par les marées de la nuit. Son long corps fiévreux et lumineux, buisson ardent, gouffre de soie, instrument de torture lente.
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C'est au cours de cette période qu'elle se met à avoir l'impression déroutante de ne pas être seule chez elle, d'être épiée. [...] Anna cherche à comprendre. Elle acquiert très vite la certitude que cette obsession est liée à son père. Si elle continuait d'aller chez un psy, nul doute qu'il saurait décortiquer le phénomène. Il n'y a pas de fantômes, dirait-il, les seuls fantômes sont ceux que projette le subconscient : "Le sommeil de la raison engendre des monstres."
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Franz aimait Anna, souffrait de l’aimer, aimait cette souffrance. Il apprenait à ses dépens que la passion physique se conjugue rarement avec la joie. Anna devenait pour lui une source d’intoxication. Il subissait les affres de la dépendance.
.../...
Une morosité s’infiltre en elle. Jamais elle n’aurait dû retourner à la maison. Son arrivée semble avoir beaucoup perturbé son père. Il la fuit, se calfeutre dans son bureau, rase les murs en la voyant. Anna serait tentée d’avoir une explication avec lui, mais à quoi bon ? À quoi bon remuer ces immondices, ressasser toutes ces rancœurs ? Son père n’est plus que l’ombre de ce qu’il fût. Pour un peu il lui ferait pitié. Sa mère avait raison, il doit mijoter un cancer. Foie, estomac ou pancréas : le tiercé gagnant des alcoolos.
.../...
Quand la seconde bouteille fut vide, Anna quitta la cuisine. Le sol tanguait. Confettis duveteux, des papillons voltigeaient devant ses yeux. Ton héritage, papa. Ton cadeau final. Un jour peut-être je ne pourrai plus m’en passer ? Je serai aussi imbibée que toi ? Tu m’avais déjà dépravée. Merci, papa, des tares que tu m’as transmises.
.../...
Pour échapper aux voisins qui la montrent du doigt, elle déménage. Werner la suit. Malgré les précautions qu’ils prennent, ils sont vite remarqués. C’est Anna maintenant qui trouve dans son courrier des lettres anonymes, le plus souvent ordurières. Elle déménage encore et va loger avec Werner dans une banlieue populeuse où ils se noient parmi la foule. Heureusement pour eux Anna est majeure et libre de ses actes. Mais elle commence à développer une paranoïa qui ravage sa personnalité fragile. Et l’amour fou, défi à la morale et crime contre la société des bien-pensants, s’est transformé en cavale exténuante de hors-la-loi pourchassés.
.../...
il la prit à part dans son bureau, un soir avant la fermeture de la librairie. Il tourna autour du pot, intimidé, poursuivi par l’idée atterrante qu’Anna savait exactement à quoi il voulait en venir. Puis il se jeta à l’eau pour lui proposer – avec les circonlocutions héritées de son éducation bourgeoise – de dîner chez lui un soir prochain. Il s’attendait au pire, un refus offensé, une stupeur ironique, un éclat de rire effronté. Mais le pire n’eut pas lieu. En fait il ne se passa rien. Il y eut un silence de plusieurs secondes. Anna ne se montrait ni offusquée, ni étonnée, ni sarcastique. Elle dévisageait Bellmer d’un air impénétrable. Puis elle parla enfin sans répondre ni oui ni non, se contentant d’un laconique : « On verra bien. » Là-dessus elle se retira en lui disant bonsoir comme si de rien n’était. Resté seul, Bellmer se jugea extrêmement ridicule, comme prévu. Mais il éprouvait au moins la satisfaction d’avoir brisé ce carcan, d’avoir osé enfreindre les tabous suffocants dont, à force de fuir les femmes, il s’était rendu prisonnier.
.../...
Jusqu’au bout j’aurai été l’artisan de ma défaite et de mon humiliation, se disait-il en ricanant de son emphase, car il n’y avait que dans les mélos qu’on exprimait ses émotions avec une telle démesure. Mais après tout, depuis l’origine, les rapports de Bellmer avec Anna étaient placés sous le signe du mélo. Le dénouement se conformait à la règle. Il ne restait plus qu’à imaginer Franz et elle partant vivre heureux sous d’autres cieux, tandis que lui, Bellmer, moisirait comme un vieux fruit sec dans sa librairie, définitivement changé en misanthrope haïssant les femmes et haïssant l’amour.
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Rien de spécial n’y transparaissait, sinon parfois les yeux gonflés de larmes, le pli amer de la bouche au sourire sans joie. En apparence elle n’avait pas changé, elle restait une fille normale et sans histoires, sans secrets. Anna se disait que c’était comme dans Le Portrait de Dorian Gray. Son reflet était pareil au modèle du tableau, lisse, net, sans impureté. Mais sous la surface devaient grouiller les salissures, comme sur le portrait gagné par une lèpre ignoble.
.../...
Werner qui ne connaissait rien aux femmes ne connaissait pas davantage la sienne. Il se figurait qu’il lui suffisait de se repentir pour être absous. Mais une épouse bafouée n’oublie pas. Et Hilde, trop blessée dans sa dignité, ne lui pardonnerait jamais. Hilde confinée dans sa rancœur arrogante. Et Anna qui devait le haïr. Par son inconséquence Werner avait gâché à la fois sa vie, celle de son épouse et celle de la fille qu’il aimait à la folie. De quoi se taper la tête contre les murs.
.../...
Enveloppée dans son drap, elle le pria de tourner le dos pendant qu’elle s’habillait. Il s’exécuta, étonné de cette pudeur qui ne cadrait pas avec l’image d’Anna. Lui le puritain, le bien-pensant, il avait au contraire le souvenir d’une impudeur flamboyante qui lui embrasait l’imagination et les sens. Il se rappelait même qu’Anna en rajoutait à plaisir pour le faire enrager, par dérision envers ce qu’elle appelait sa morale de petit-bourgeois. Elle l’avait arraché à son conformisme. Il avait tout appris d’elle : la liberté des mœurs, le mépris des conventions, l’amour qui renverse les barrières, la passion qui va jusqu’au bout. Dans cette recherche de l’extrême elle avait été le professeur et lui l’élève. Jusqu’au jour où, par lâcheté, par crainte d’être emmené trop loin, il était retombé dans son ornière.
.../...
— Tu me parlais très peu de lui. Mais je vois que tu n’as pas tourné la page. Tu ne ferais pas mieux d’oublier ?
— Oublier ! Oublier comment il s’est conduit ? Werner, tu es fou. On n’oublie pas quelqu’un qui vous a fait du mal. » La voix d’Anna chevrotait. Son excitation croissait insensiblement. « Moi aussi, à ce compte-là, je t’ai fait du mal » » souligna Werner. Anna liquida son verre, resservit Werner, s’en reversa un autre qu’elle but aussitôt. Elle hocha la tête avec commisération. « Toi, Werner, pauvre chou, tu es un innocent. C’est lui le monstre. Mais c’est la grande injustice. Les innocents paient pour les coupables. Mon père est mon sans que j’aie pu me venger. Alors je me venge en punissant des innocents à sa place. J’ai puni Franz, j’ai puni Bellmer. Toi aussi, tu mérites d’y passer. Je n’y peux rien. Werner, c’est une loi. La roue de l’enchaînement des circonstances. C’est comme dans la religion hindouiste. Les karmas de souffrance… »
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