Oh qu'il est beau celui-là !
J'ai un attrait pour la mythologie grecque, riche, foisonnante, mainte fois reprise et retravaillée en tout sens. J'aime surtout qu'elle soit toujours reprise, rejouée et réécrite pour en tirer de nouveaux commentaires sur notre monde, notre actualité, nos idées. Ici,
Fabrizio Dori a fait dans l'excellence, à mes yeux. Une réappropriation à la croisée des genres et des influences, pour tirer de cette mythologie un commentaire sur notre monde contemporain. Brillant !
Ce qui saute aux yeux rapidement, c'est le talent du dessin. C'est coloré, dynamique, mais aussi bourré de références et de symboliques. Des plus évidentes (les reprises d'amphores grecques) aux clins d'oeils vers les impressionnistes (
Van Gogh ne pouvait pas être absent de cette BD), avec une recherche dans les décors, les personnages ... C'est des têtes de mort mexicaines qui côtoient des images de la Grèce antique pourrait paraitre étrange mais passe très bien, mélangeant des mythologies et des cultures pour en montrer l'universalité. le dessin est inspiré, et la lecture s'en ressent. C'est beau, on en redemande. Personnellement j'ai hâte de le relire pour rechercher toutes les références.
Niveau histoire, on brode sur la thématique habituelle du monde duquel les dieux se sont retirés avec l'arrivée du Christianisme. Cette thématique dans l'air du temps semble se nourrir d'une déconnexion de l'homme contemporain de la spiritualité qui l'a habité pendant des siècles : retour à la nature, retrouvailles d'anciennes fêtes, nostalgie d'un passé où l'homme se sentait plus en harmonie avec le monde (que ce fut vrai ou non). Sur ces thématiques, l'auteur livre une histoire aux multiples facettes que l'on pourra interpréter à loisir : regarder par les yeux du satyre, est-ce regarder par les yeux d'un artiste ? Eustis représente-t-il les vagabonds, les clochards, "ceux d'en bas" ? Est-ce une critique du monde contemporain, détaché de la nature et d'un sens profond du bonheur ?
Tout ceci et plus encore, sans doute. Impossible de ne pas voir des choix réfléchis et conscient dans la représentation de Arès comme un ancien militaire néo-nazi et complotiste, très protecteur de "son" territoire, Aphrodite gérant un parc d'attraction aux multiples plaisirs proposés (que j'ai personnellement vu comme une métaphore d'Internet, avec sa bibliothèque infinie de tout les livres existants ou l'ancienne prostituée qui vient y travailler sans se rendre compte de la facticité du lieu, entouré d'obscurité). Les dieux grecs sont des archétypes dont l'auteur joue, et le sens qu'il donne à tout cela n'est pas anodin : l'entrée des enfers est dans la décharge derrière le parc d'attraction. Je trouve l'image parlante !
C'est typiquement le genre de BD que j'adore parce qu'elle utilise des codes et des symboles pour parler d'un monde, d'un air du temps, d'une idée. La déconnexion de l'homme avec la nature est assez nette, mais aussi la question de la beauté du monde (contrebalancé par des décharges et des tours d'immeubles), l'accomplissement personnel, la désillusion de nos choix de vie ... C'est riche et dense, mais beau aussi et la fin me donne le sourire. Une sorte de triomphe de l'amour et de la fête, du positif dans toutes ces représentations parfois triste.
Comme dirait
Pacôme Thiellement : "Carnaval doit renaitre", et cette BD invite aux libations antiques, à retrouver la beauté de la nature, à la fête éternelle de Dionysos, aux plaisirs ! Quelle belle BD ...