Citations sur Black feminism : Anthologie du féminisme africain-américa.. (15)
Lorsque, vers l'âge de treize ans, Veronica Chambers avoue à sa mère un moment de dépression, celle-ci lui reproche son manque de gratitude vis-à-vis de tous ses privilèges en martelant que la dépression est le domaine réservé des "filles blanches". Les femmes Noires sont fortes et ne dépriment pas, et, poursuit la mère, sa fille ne pourra pas compter sur la vie pour rendre heureuse (Chambers 1976, 72).
Les sœurs préféraient la boucler et refusaient de voir la réalité, pourtant de plus en plus difficile à ignorer: beaucoup de frères partageaient leur temps entre une sœur de quartier et une blanche de centre-ville, celle-là même qu'ils prétendaient haïr ardemment. Les plus décomplexés en parlaient avec franchise: "La femme blanche me laisse être un homme".
"Si ton frère doit aller se soulager et qu'il n'y a pas de toilettes dans sa maison, ne le laisserais-tu pas tes toilettes?" m'a -t-il demandé. A la place de toilettes, lisez femme Noire
Chaque fois qu'en parlant avec un homme Noir, je soulevais la question de l'humanité des femmes Noires, j'obtenais la même réaction. Les hommes Noirs, du moins ceux que je connaissais, semblaient complètement incapables de considérer les femmes Noires comme des personnes. Je connais une jeune femme noire qui, pour se conformer au modèle féminin de douceur et de gentillesse que lui présentaient les frères de la "nation", a un jour salué chaleureusement un type croisé sur le Riverside Drive (Manhattan). Il répondit en la violant. Quand elle a demandé aux frères ce qu'elle devait faire, ils lui ont dit de ne pas aller à la police et de garder le bébé, alors qu'elle n'avait que dix-sept ans.
Etre une femme noire, c'est passer par de nombreux accès de rage impuissante, épuisante.
Morgan écrit "strongblackwoman" (femmenoireforte) en un seul mot et l'abrège en S.B.W, pour signaler ainsi que ce stéréotype s'est mué en identité acceptée et reconnaissable par les femmes Noires. Cette évolution linguistique renforce l'idée que "forte", "noire" et "femme" sont les éléments insécables d'une identité apparemment unique.
Par Black féminism, il ne faut pas entendre les féministes "noires", mais un courant de pensée politique qui, au sein du féminisme, a défini la domination de genre sans jamais l’isoler des autres rapports de pouvoir, à commencer par le racisme ou le rapport de classe.
Il s’agit de reconnaître, d’exprimer et d’admettre les conflits, les tensions et les colères au sein du féminisme, en tant qu’ils ne nuisent pas à l’unité du sujet politique du féminisme, mais qu’ils nous contraignent à ne pas forclore dans une identité "femmes" déclinée selon le genre, la sexualité, la couleur, la religion, la classe, … au gré de nos luttes, de nos réflexions ou de nos intérêts personnels et collectifs
ce ne sont pas nos différences qui nous immobilisent, c’est le silence
Quelques figures intellectuelles africaines-américaines, comme le philosophe Cornell West, interviennent dans le débat pour dénoncer la manipulation des autorités − blanches ou noires − qui entretiennent ce nouveau mythe du "patriarcat noir", comme la seule solution au racisme. Le point culminant est atteint en 1995, à l'occasion de la One Million Man March, organisée à Washington DC par la Nation of Islam. Marche de la fierté masculine noire, femmes et homosexuels ont été exclus ou interdits de tribune. Là encore, le patriarcat n'est pas tant le fait de la Nation of Islam que de la société américaine elle-même. En effet, l'adhésion zélée d'une partie du mouvement noir à un idéal hétérosexiste témoigne de la prégnance et de la validité de cet idéal pour la société américaine en général : les privilèges blancs étant perçus comme inextricablement liés à un "ordre sexuel". La logique raciste incite les groupes altérisés à une parodie grotesque. Si le sexisme et l'homophobie sont laissés sur le chemin des luttes de libération noire, il y a de quoi se méfier. L'"ordre racial" assure doublement les conditions de sa reproduction : maintenir le "patriarcat blanc" comme une norme dominante, dont on détourne le regard en s'attachant à la violence du "patriarcat noir" qui le parodie − disqualifiant ainsi efficacement les revendications d'égalité des hommes noirs, stigmatisés comme "sexistes".