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Critique de michfred


La rentrée littéraire 2016 n'est pas sous le signe de la gaudriole, c'est le moins qu'on puisse dire : meurtres (California Girl's, the Girls, Laëtitia…) et suicides à tous les étages, si j'ose dire.

C'est du huitième étage, en ce qui le concerne , que le père de Paul Katrakilis, médecin généraliste toulousain, va sauter, la bouche bâillonnée de scotch, quant à la mère de Paul, italienne et horlogère,elle a préféré les gaz d'échappement d'une Triumph, son grand-père, ancien médecin du regretté Staline, en tenait pour les armes à feu et pour l'oncle de Paul, frère quasi incestueux de sa mère, rien ne vaut une bonne moto projetée contre un mur…

On comprend que Paul, médecin lui aussi, décide de fuir à toutes voiles cette généalogie aussi cosmopolite que suicidaire et préfère envoyer contre un mur…une balle de cuir, balancée avec vigueur par un gant d'osiers tressés, sur les frontons de pelote basque de Miami, mettant ainsi un océan et quatre années de bonheur, de sport et d'insouciance entre lui et cette famille hautement toxique…

Il se fait un copain, joueur de chistera comme lui, et adopte un chien qu'il a sauvé de la noyade et qu'il appelle Watson. La vie semble lui sourire à nouveau.

Mais on ne fuit pas un héritage aussi lourd sans qu'il vous rattrape au bond, comme une balle pelote…C'est à Miami que lui parvient la nouvelle de la mort de son père. Il rentre pour liquider une bonne fois pour toute la succession familiale. Pas facile.

Paul tente d'échapper à l'emprise sournoise et macabre de ses disparus, il fait la navette entre Toulouse où le réclament les formalités, les patients de son père et deux carnets de moleskine où son père tenait une étrange comptabilité, et Miami où l'attendent ses copains, sa pelote, et bientôt un grand amour pour une belle norvégienne un quart de siècle plus âgée que lui qui le quitte sans crier gare.


J'ai adoré le livre de Jean-Paul Dubois : il m'a d'abord fait rire, oui, rire, tant l'humour caustique, jamais cynique, rend les situations les plus tragiques cocasses, absurdes, ou délirantes.

Mais c'était un piège subtil : captée, amusée, divertie, je n'ai pas senti venir la gravité, tapie dans cette ironie, et bientôt mise à nu : elle m'a cueillie à l'improviste.

Touchée, coulée.

Ces histoires familiales pleines d'ombre, parce qu'on les cache, et d'incompréhensible désespoir,- car comment les expliquer ?- ne me sont pas étrangères. Je les reconnais. J'ai senti et j'ai fui leur spirale vertigineuse, même si je ne joue pas à la pelote basque et ai peu de goût pour les jeux de balle en général…

La fin du livre est toute imprégnée de cette ombre-là, et des interrogations que déclenche un autre « héritage » paternel découvert dans les carnets de moleskine : faut-il laisser la mort accomplir ses ravages et ses désastres sans apporter la réponse qui délivre ?

Faut-il soi-même venir à sa rencontre ?

Graves questions, aussi graves que la mort pathétique du dernier quagga – une sorte de zèbre blanc- dans un zoo, à la fin du XIXème siècle – un passage inoubliable et bouleversant.

Les animaux en effet nous donnent des leçons d'empathie et de fidélité à revendre. Ils sont parfois si proches des hommes : il ne leur manque que la parole. Et le regard de souffrance ou d'affection qu'ils nous lancent n'en est que plus poignant.

Paul Katrakilis est, comme Paul Snijder , un narrateur ami des chiens. Jean-Paul Dubois parle des chiens avec tendresse, avec justesse : il a dû être chien dans une autre vie. C'est au souvenir de Watson que le narrateur, qui en a vu d'autres pourtant, se met « à pleurer comme un enfant parce que c'était la seule chose qu'un homme raisonnable puisse faire à un moment pareil. »

Car ce livre drôle est un drôle de livre et fait presque pleurer.

Alors pour le quagga exilé dans un zoo , pour Laïka, spationaute carbonisée, pour Watson, chien sauvé des eaux, pour Invild Lunde, au joli nom d'oiseau des mers, dont l'esprit sombre avec élégance, drapé dans ses ailes de plume, pour le chat ensoleillé du poème de Maurice Carême, pour Paul et ses hespérophanes irréductibles, pour tous ces moments de tendresse partagée avec les souffrants, les mourants, les mal lotis, les mal aimés, il faut lire ce livre étonnant, si drôle et si triste à la fois.

On en sort ému, secoué, avec un drôle de picotement au coin des yeux et le coeur un peu à l'envers, et on a envie, comme Paul le marin-qui-avait-le-mal-de-mer, de suçoter un Fischerman pour se remettre.
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