AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de peloignon


L'avalée des avalés est un roman dont la sombre histoire nous parvient par le biais d'une écriture très originale, à la fois joueuse et mystérieuse.
D'abord le temps n'y est jamais donné tel quel. On devine les passages que fait Bérénice de l'enfance vers l'adolescence et la vie adulte sans repères temporels précis, uniquement en lisant ce qui se produit devant nous.
Ensuite, bien que les évènements rapportés par Bérénice montrent bien qu'elle grandit, son écriture n'évolue pas vraiment. Au départ elle est bien trop brillante et cultivée pour la Bérénice enfant, mais elle finit par mieux coller à sa réalité à partir de l'adolescence. J'ai donc trouvé en commençant ma lecture que l'écart de maturité entre l'âge du personnage et celui de l'écriture étaient plutôt déroutants. Si on tient, comme moi, à ce qu'il s'agisse bien du récit d'une jeune femme qui soit possible dans la réalité, les premiers chapitres doivent donc être considérés comme rétrospectifs.
Enfin et surtout, j'y ai trouvé le récit d'une existence abandonnée au désespoir frénétique. Pourquoi ne pas tout simplement dire d'une existence désespérée?
Parce que le désespoir réel, concret, total, absolu, fait ressortir de l'existence où il s'incruste deux types d'états opposés, selon les caractères.
Certains se laisseront aller aux hasards de ce qui les entoure, indifférents et insensibles, comme des barques abandonnées, qui ballottent aux grés des vents et des marées, pendant que le temps achève, imperceptiblement, et d'autant plus sûrement, son oeuvre. C'est la désespérance apathique.
D'autres, au contraire, explosent en tourbillons d'une rage qui n'en démordra jamais. Chez eux, toute accalmie est tourbillon latent, toute apparence de beauté, de bonté, de bonheur, n'est qu'un vague et bref interlude, dont l'arrêt se fera brusquement, sauvagement. C'est la désespérance frénétique.
Les deux stades peuvent aussi, évidemment, alterner chez certains, mais pas dans ce roman.
Nous trouvons ainsi les caractères opposés de Christian et de Bérénice, du catholique et de la juive, du garçon et de la fille.
Pourquoi toute cette désespérance chez ce frère et cette soeur?
Est-ce la faute de leurs parents? Ces parents dont les différences d'âge, de culture, de religion, de caractère, de taille, de classe sociale, bref, dont leurs différences d'à peut près tout les avait attirés l'un à l'autre. Est-ce leur faute? Les contraires s'attirent, comme on dit et c'est comme ça. C'est tout.
Mais pour s'assembler, il faut se ressembler, comme on dit aussi, et c'est aussi comme ça, c'est tout. Leur mariage est donc tout aussi nécessairement devenu une guerre où on se négocie un enfant pour le tourner vers l'autre, où le moindre geste est une insulte, une attaque, pour que l'autre disparaisse. Leur monde, issu d'une attirance qui s'est transformée en dégoût, devient un territoire stérile à tout espérance.
Ce n'est donc pas la faute des parents, mais de la vie, de la mort, de tout et de rien.
C'est le destin de Bérénice et de Christian, mais c'est aussi le relativisme culturel, l'indifférente tolérance et l'indifférence tolérante à tout sens, dont on finit par perdre tous souvenirs. C'est aussi l'intolérance implacable envers ce qui ne nous détermine pas dans notre horizon dénué de sens : « Je ne m'oppose pas à ce qu'on haïsse les Grecs! Ce à quoi je m'oppose, c'est qu'on se croie, sincèrement, justifié de haïr les Grecs. C'est un vice de raison. ... Mes amis haïssons d'emblée! »(375)
Absence de sens, liberté sans horizons, c'est tout le creux de la post-modernité multiculturelle dans laquelle nous baignons tous plus ou moins.
Il y a certains caractères qui réagissent plus fortement que d'autres à cette ambiance de fin de monde, qui restent irréductiblement inaccessibles, qui détruisent les restes toujours vivants avec une cruelle innocence et c'est bien là ce que représente Bérénice. On pourra bien la détester, on s'y attachera difficilement, mais elle est beaucoup trop loin de tout ça pour être touchée : « J'ai atteint la dernière profondeur de ma solitude. Je suis là où la moindre erreur, le moindre doute, la moindre souffrance ne sont plus possibles. Je suis là où, dépourvue de tout lien, de toute assise, de tout air, ma vie, par son seul fleurissement miraculeux, m'enivre de puissance. »(350)
Elle n'a plus de chaleur dans son monde. Elle vit au « Soir d'hiver » de Nelligan (qu'elle aime tant à citer) :

Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! comme la neige a neigé!
Qu'est-ce que le spasme de vivre
À la douleur que j'ai, que j'ai!

Tous les étangs gisent gelés,
Mon âme est noire: Où vis-je? Où vais-je?
Tous ses espoirs gisent gelés:
Je suis la nouvelle Norvège
D'où les blonds ciels s'en sont allés.

Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses,
Pleurez, oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.

Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! comme la neige a neigé!
Qu'est-ce que le spasme de vivre
À tout l'ennui que j'ai, que j'ai!...
Commenter  J’apprécie          630



Ont apprécié cette critique (47)voir plus




{* *}