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Critique de 5Arabella


Lorsqu'on pense à l'oeuvre d'Alexandre Dumas, ce n'est pas le théâtre qui vient spontanément à l'esprit. Il est surtout connu pour ses romans historiques, mais c'est au théâtre qu'il a fait ses premières armes, connu ses premiers succès, et il en écrit tout le long de sa carrière (une centaine de pièces), même si le public l'a moins suivi dans la deuxième moitié du siècle. Néanmoins, c'est l'auteur dramatique romantique qui de son temps a été le plus joué, grâce au nombre important de pièces, mais aussi à leur succès ; c'est le théâtre qui l'a fait connaître, le roman ne venant qu'en second, à partir de l'invention du roman feuilleton en 1836.

Le théâtre était un genre majeur au début du XIXe siècle, presque aussi prestigieux que la poésie, et il s'adressait à un public plus vaste, donc également plus rémunérateur pour un auteur en cas de succès. Deux théâtres cohabitaient pendant la Restauration : le théâtre « officiel » dans le centre de Paris, dont la Comédie Française, le plus prestigieux pour le théâtre sans musique et fréquenté par un public socialement homogène. le classicisme né au XVIIe siècle, continuait à y régner en maître. On l'oublie souvent, mais le classicisme au théâtre a largement survécu au XVIIe siècle, même si c'est en changeant, en s'adaptant au goût de l'époque. Voltaire en a été un grand représentant au XVIIIe, et des épigones ont continué à produire des oeuvres au XIXe, bien oubliés aujourd'hui, comme Casimir Delavigne.

Par ailleurs, un théâtre ouvert à une forme de mixité sociale, existaient en périphérie, dans ce qu'on appelait le boulevard, à la limite voir en dehors de la ville. Beaucoup plus spectaculaire, guère ambitieux sur le plan littéraire, il cherchait le plaisir immédiat du spectateur. le mime, le mélodrame, le vaudeville (à la base tous les deux chantés) étaient les genres pratiqués. C'est là que seront créées les premières pièces romantiques.

Mais les auteurs romantiques ont l'ambition de concilier dans leurs spectacles une ambition littéraire et un art de plaire, de séduire le public, par l'émotion, la sensibilité. Sans oublier la dimension politique de ce théâtre. Dans un régime de droit divin, sans liberté d'expression, le théâtre est un des rares lieux où un public se rassemble et où un auteur peut s'adresser directement à lui. le théâtre est donc strictement encadré, une pièce doit avoir été validée par la censure pour pouvoir être jouée, car une pièce peut avoir une grande portée : n'oublions pas la révolution belge de 1830 déclenchée suite aux représentations de la muette de Portici. Un certain nombre de pièces romantiques jugées trop sensibles vont être ainsi interdites, et le fait de déplacer l'action à des époques passées est un des subterfuges que les romantiques utilisent pour pouvoir aborder des questions politiques qu'il ne serait pas possible de traiter autrement, d'où l'abondance de sujets historiques.

Après quelques essais voire succès en périphérie, les romantiques tentent donc d'investir la Comédie Française, pour donner à leurs oeuvre une audience plus importante et une légitimité plus forte. L'arrivée à la tête de l'institution du baron Isidore Taylor, va leur en donner l'opportunité. Et c'est ainsi que la pièce de Dumas, Henri III et sa cour, sera la première pièce romantique à entrer au répertoire du vénérable théâtre en 1829. On l'a quelque peu oublié, compte tenu de la place qu'occupe ce qu' on a appelé « La bataille d'Hernani » dans la mythologie littéraire. Les premières représentations de la pièce de Hugo, ont certes été un événement très important, mais les romantiques ont sans doute quelque peu réécrit l'histoire, et amplifié la portée réelle de ce qui s'est passé, en gommant quelque peu d'autres événements, comme cette pièce de Dumas, qui a connue un beau succès, peut-être avec insuffisamment de scandale, et qui a, en quelque sorte préparé l'entrée de Hugo dans la place.

La pièce n'est plus jouée maintenant et on le comprend à la lecture. Nous sommes donc au XVIe siècle, à la cour d'Henri III. le roi subit la pression du duc de Guise, qui cherche à de le détrôner, et pour se faire, crée la Ligue, qui doit être un instrument de son ascension au pouvoir. le roi ruse, et essaie de se défendre, conseillé par Catherine de Médicis, sa mère, manipulatrice au possible. A la grande histoire se superpose une histoire inventée : un des favoris d'Henri III, Saint-Mégrin, est amoureux de la femme du duc de Guise, amour partagé, même si non avoué. le duc est maladivement jaloux, et un mouchoir perdu va le convaincre de l'infidélité de son épouse, et le pousser à se venger (rappelons que les romantiques adoraient Shakespeare).

Tout cela est un peu confus, et si on ne connaît pas l'histoire de l'époque, on peut être perdu, les personnages étant nombreux. L'intrigue amoureuse n'occupe au final qu'une place réduite, beaucoup de scènes étant dédiées à la politique, et la conclusion est un peu brusque. La pièce est en fait un peu bancale, entre les scènes de cour, et la marche de la tragédie vers la conclusion inévitable et prévisible. le nombre important de personnages, fait qu'il s'agit surtout de silhouettes, plus que de personnes.

Dumas va beaucoup mieux se saisir de ce contexte historique dans La dame de Monsoreau, le roman lui donnant mieux la possibilité de développer les intrigues politiques et amoureuses, en prenant le temps de mieux expliciter les choses et construire ses personnages. C'est sans doute le plus grand acquis de ce théâtre, fournir à Dumas un matériau qu'il exploitera bien mieux dans le roman.

Au final, c'est par le roman que le romantisme va vraiment s'imposer en France au grand public, la brève poussée théâtrale, malgré toute la légende de la bataille d'Hernani, n'étant qu'un épiphénomène. Pour Dumas, le roman est incontestablement le genre qui convient à son talent et qui lui a permis d'enchanter des générations de lecteurs. Mais il est encore en gestation en 1829, et personne à l'époque n'imagine qu'il sera le grand genre littéraire par excellence tel que nous le connaissons.
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