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Critique de Kirzy


Rentrée littéraire 2021 #39

« S'ils se taisent, les pierres crieront. » Evangile selon Luc, 19 :40, nous dit l'exergue. Comme dans les contes, les murs peuvent parler, ils ont une bouche à travers la voix poétique des pierres d'une ancestrale maison cévenole. Ce sont elles qui racontent l'histoire de cette famille où nait un enfant lourdement handicapé, sans geste, sans regard, sans parole, voué à une courte vie. Elles racontent d'en bas la fratrie, comme un personnage principal, enveloppant immédiatement le lecteur.

Trois parties composent ce roman d'une délicatesse folle. D'abord l'ainé qui s'arroge le rôle de protecteur, épris d'un amour fou et fusionnel pour son petit frère ; puis la cadette, pleine de colère et de rage à voir l'équilibre familial brisé par l'arrivée de cet enfant inadapté. le premier chapitre consacré à l'Ainé est inouï de délicatesse, accompagné par la superbe écriture de Clara Dupont-Monod, instinctive, presque animale à capter les mille reliefs d'un récit cristallin.

« L'aîné lui fredonnait des petites chansons. Car il comprit vite que l'ouïe, le seul sens qui fonctionnait, était un outil prodigieux. L'enfant ne pouvait ni voir ni saisir ni parler, mais il pouvait entendre. Par conséquent, l'aîné modula sa voix. Il lui chuchotait les nuances de vert que le paysage déployait sous ses yeux, le vert amande, le vif, le bronze, le tendre, le scintillant, le strié de jaune, le mat. Il froissait des branches de verveine séchée contre son oreille. C'était un bruit cisaillant qu'il contrebalançait par le clapotis d'une bassine d'eau. Parfois il nous déchaussait du mur de la cour pour nous lâcher de quelques centimètres afin que l'enfant perçoive l'impact sourd d'une pierre sur le sol. (…) Il n'avait jamais autant parlé à quelqu'un. le monde était devenu une bulle sonore, changeante, où il était possible de tout traduire par le bruit et la voix. Un visage, une émotion, un passé avaient leur correspondance audible. Ainsi l'aîné racontait ce pays où les arbres poussent sur la pierre, peuplé de sangliers et de rapaces, ce pays qui se cabre et reprend ses droits chaque fois qu'un muret, un potager, un traversier étaient construits, imposant sa pente naturelle, sa végétation, ses animaux, exigeant par-dessus tout une humilité de l'homme. « C'est ton pays, disait-il, il faut que tu l'écoutes. » »

Tout est juste dans ce duo aîné / cadette pour dire l'ambivalence des attitudes face à un corps handicapé, comme le dégoût, la honte, la culpabilité qui envahissent la cadette. Clara Dupont-Monod le fait sans leçon de morale, ni bons sentiments gluants, juste au plus près des ressentis. Je tairai le personnage principal du dernier chapitre, tellement inattendu que la découverte de son identité provoque quelque chose de fort chez le lecteur. Ce n'est pas la partie qui m'a le plus fait vibrer mais elle est nécessaire pour propulser les deux premières vers la lumière.

La puissance émotionnelle que dégage ce roman m'a souvent submergée aux larmes. Pourtant, malgré la gravité et la tristesse du sujet, c'est bien cette lumière qui reste et fait entrevoir la souple capacité de l'être humain à s'adapter à un drame, ici grâce aux liens fraternels. Superbe et apaisant.
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