Si un enfant va mal, il faut toujours avoir un œil sur les autres. Car les bien portants ne font pas de bruit, s’adaptent aux contours cisaillants de la vie qui s’offre, épousent la forme des peines sans rien réclamer.
Dira-t-on un jour l’agilité que développent ceux que la vie malmène, leur talent à trouver chaque fois un nouvel équilibre, dira-t-on les funambules que sont les éprouvés ?
Bientôt, les parents parleraient de leurs derniers instants d’insouciance, or l’insouciance, perverse notion, ne se savoure qu’une fois éteinte, lorsqu’elle est devenue souvenir.
[…] la fragilité engendre la brutalité, comme si le vivant souhaitait punir ce qui ne l’est pas assez.
Quel drôle de monde où l’on apparente l’amour à un but, et quel dommage de ne pas comprendre qu’au contraire, l’amour c’est se noyer dans les yeux de l’autre, même si ces yeux sont aveugles.
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Chaque adulte devrait se souvenir qu'il est redevable envers l'enfant qu'il fut.
Il ne regardait pas la montagne à la peau râpée, le dos planté d’un nombre infini d’arbres, fendue d’un torrent. Les yeux de l’enfant caressaient les paysages et les gens. Ils ne s’attardaient pas.
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À enfant hors norme, savoir hors norme, pensait l’aîné. Cet être n’apprendrait jamais rien et, de fait, c’est lui qui apprenait aux autres.
Il fallait lui trouver une place. Existait-il des organismes, des instituts, des maisons spéciales ? Demandèrent les parents. Très peu. Leur pays voulait du solide, du bon rouage. Il n’aimait pas les différents. Il n’avait rien prévu pour eux. Les écoles leur fermaient la porte, les transports n’étaient pas équipés, la voirie était un piège. Le pays ignorait que, pour certains, la volée de marches, le rebord et le trou valaient pour falaise, muraille et gouffre. Alors un endroit dédié aux inadaptés…
L’inquiétude a planté en lui ses racines, germé comme le figuier des montagnes, coriace et résistant. Cela passera peut-être un jour. Peut-être pas.
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