Le bout du tunnel
Plusieurs personnes avaient fait l'effort de venir le voir à l'hôpital. En tête de liste : les amis, les bons copains et quelques collègues du commissariat de police. Il fallait reconnaître que son état pitoyable avait dû en décourager plus d'un. Ce qui entraîna, au fil du temps, une désaffection de sa chambre. Le peu de visites s'estompa progressivement, le laissant seul, désespérément seul, dans ce noir ambiant, oppressant, à écouter le son redondant de ses appareils de survie. Aujourd'hui encore, comme chaque jour depuis sa tentative de suicide, le major Zibanski avait tenté d'ouvrir les yeux, mais sans résultat. A tel point qu'il en venait à souhaiter une délivrance en priant qu'une défectuosité se produise au beau milieu de tout cet attirail d'assistance. Plus rien ne fonctionnait dans son corps. Ni sa respiration... Ni son coeur... Ni même la moindre petite contraction musculaire prouvant au personnel soignant qu'il était bien vivant. C'était certainement ce qui l'insupportait le plus. Comment réussir à leur faire comprendre qu'il entendait tout ce qui se passait autour de lui ? A force d'essayer vainement de bouger un orteil, au moment où quelqu'un lui réajustait le drap sur son pied, ou de cligner de la paupière, lors du contrôle de sa pupille par le médecin, Stanek se décourageait. Étouffé par sa claustrophobie, il ne pouvait se résoudre à continuer de vivre dans cet état. Surtout qu'à ce jour, il était encore incapable d'entrevoir une quelconque porte de sortie. Sa nouvelle vie était devenue un enfer et son acte de désespoir, censé le libérer du Mal qu'il incarnait, ne lui avait servi à rien. Bien au contraire. Il se retrouvait même à l'opposé d'une éventuelle délivrance. Pire. Il était depuis des mois prisonnier de son propre corps, enfermé dans son enveloppe charnelle, telle une momie dans son sarcophage.
L'ouverture de sa porte de chambre, suivie du bruit des pas alertes, le sortit de ses pensées morbides. Les deux infirmières venaient s'acquitter de leur tâche quotidienne. Désireuses d'en finir rapidement, comme si leur patient risquait de prendre la fuite, elles s'affairaient à le laver et le changer sans ménagement, tout en discutant de leurs problèmes de couple. Stanek les détestait car elles faisaient complètement abstraction de sa présence. Elles l'ignoraient, comme s'il n'existait pas... ou plus.
La première commença à déblatérer des commentaires déplacés sur ses besoins sexuels non assouvis, dus en partie à un mari pas assez entreprenant à son goût. Quant à la seconde, elle surenchérit en prétextant qu'en vieillissant, tous les hommes devenaient identiques, ne s'occupant plus de leur épouse comme au premier jour. Elle se découvrit subitement des talents de sociologue en constatant que c'était devenu une généralité affligeante au sein des foyers, avec une lassitude grandissante qui s'incrustait dans la vie des couples. «L'experte en matière de couple» fit justement à sa collègue une révélation des plus surprenantes :
- C'est comme cette pauvre dame qui vient de sortir de son coma et qui se retrouve avec son bonhomme dans un état pareil ! Tu t'imagines, toi, foutre ta vie en l'air à cause d'un légume comme lui ! Moi, je te jure que je ne réfléchirais pas cent sept ans pour prendre une décision. Direct, je demanderais au toubib de le débrancher et, s'il refuse, c'est moi qui le ferais !
- C'est comme cette pauvre dame qui vient de sortir de son coma et qui se retrouve avec son bonhomme dans un état pareil ! Tu t'imagines, toi, foutre ta vie en l'air à cause d'un légume comme lui ! Moi, je te jure que je ne réfléchirais pas cent sept ans pour prendre une décision. Direct, je demanderais au toubib de le débrancher et, s'il refuse, c'est moi qui le ferais !